10. CONCLUSION

Le tympan de Conques s'achève donc sur une admonition qui invite le pèlerin à corriger son comportement  : O PECCATORES TRANSMUTETIS NISI MORES IUDICIUM DURUM VOBIS SCITOTE FUTURUM (Ô pécheurs, à moins que vous ne réformiez vos mœurs, sachez que le jugement futur sera dur pour vous).

Cet avertissement est à mettre en résonnance avec l'exhortation  des Actes des Apôtres : « Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés, et qu'ainsi le Seigneur fasse venir le temps du répit. Il enverra alors le Christ qui vous a été destiné, Jésus, celui que le ciel doit garder jusqu'aux temps de la restauration universelle dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes ». (Ac 3, 19-21)

On retrouve dans cet extrait le concept de restauration universelle (i.e. l'apocatastase),  que défendait Origène, comme un idéal à atteindre.
Mais est-ce bien la thèse du tympan de Conques ?

Eh bien non ! et c'est la gestuelle du Christ qui nous le signifie.


Un pouce rétracté, un décompte d'ondes inégal et le silence du Tartare
Il faut relever un petit détail, discret mais lourd de sens : le pouce rétracté de la main gauche du Christ, celle qui déverse sur l'Humanité les grâces du Seigneur. Ce retrait signifie que l’octroi de la grâce n’est ni absolu ni universel.
La rétractation du pouce
Le pouce rétracté : une restriction dans l'octroi de la grâce
A Conques, l'enfer est bel et bien promis aux impies et à ceux qui ne repentent pas.
Un second détail confirme qu'il n'est pas question ici d'apocatastase : les ondes qui émanent du Christ sont en nombre moindre du côté des Tartares que du côté du paradis.
Un nombre inégal d'ondes
Enfin, le titulus qui suppporte le plancher du registre inférieur du Tartare constitue une exception : il ne porte aucun texte et reste muet.
Le dernier mot du dernier vers de ce sermon sculptural s'arrête en effet juste à la porte des enfers : au-delà  règne un silence assourdissant. (1)

Le silence de l'Enfer
Un éternel présent  
La parousie étant « un éternel Présent », (2) le tympan de Conques nous tend un miroir où nous pouvons nous reconnaître, ici et maintenant et nous délivre un message parfaitement audible huit siècles après sa création.
Car de quoi parle-t-il, sinon de nous ? Il nous parle du pouvoir et de l'argent, de la corruption, de la guerre, de l'homosexualité, de l'avortement, du bien et du mal, des vivants et des morts, de la fin du monde qui s'approche mais aussi de foi et d'espérance.
Le Frère Régis en plein commentaire

Au terme de cette approche, le tympan de Conques - qui marque l'apogée de l'abbaye de Conques - apparaît surtout comme une étape incontournable dans l'Histoire de l'art et des civilisations. Loin d'être une œuvre « barbare » issu d'une « époque grossière  » comme l'estimait Mérimée, (3) ce chef d'œuvre de la statuaire romane serait plutôt le parangon de la Renaissance romane.

 

Il porte incontestablement les marques de l'influence des écoles monastiques, ancêtres des universités, notamment celle de l'abbaye de Saint-Victor à Paris où le grand pédagogue, théologien et naturaliste Hugues de Saint-Victor, adepte du dialogue entre foi et raison, jette les bases d'un enseignement fondé sur la connaissance et le raisonnement, que l'on peut qualifier de véritable humanisme. Il donne naissance à la scolastique puisant ses méthodes didactiques, sa rhétorique, son herméneutique, ses talents littéraires et poétiques et jusqu'à ses artifices mnémotechniques chez les auteurs de l'Antiquité. (4)

Une école monastique médiévale

Mais la grande originalité du tympan de Conques, unique en son genre, repose sur son paradigme théologique, hérité de Hugues de Saint-Victor, qui propose une alternative à l’Enfer laissant deviner l’intuition d’un Purgatoire au terme du processus de Restauration des pécheurs. Il marque une étape historique dans l'évolution de la pensée théologique à propos des fins dernières, même si, de nos jours, le dogme du Purgatoire n'est plus vraiment en odeur de sainteté au sein de l'Église romaine. Reste que les Bénédictins rouergats du XIIe siècle ont fondé leur pastorale sur l'espérance plutôt que sur la peur.

(1) Juste avant ce silence, la dernière lettre du dernier mot du tympan, le M de FUTURUM, a pris la forme du symbole de l'infini comme pour signifier la durée éternelle d'une éventuelle condamnation. (retour)

Futurum (retour)

(2) Selon saint Irénée (IIe s.) (retour)

(3) « Bien que le travail en soit barbare, on distingue dans sa composition, plus d'art, et je dirais plus de sentiment qu'on en attendrait d'une époque grossière. »  Prosper. Mérimée,  Notes d'un voyage en Auvergne, 1838, Paris, Fournier p. 180.  (retour)

(4) L'abbaye de Conques attache une importance toute particulière au Bienheureux Hugues de Saint-Victor que nous avons retrouvé tout au long de cette étude. D'ailleurs, elle vénère dans son Trésor ecclésiastique des reliques du Vénérable Hugo. (retour)

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