Chapitre 10 : l'épigraphie |
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QUE DISENT LES INSCRIPTIONS ?
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Nous reproduisons ci-dessous deux tableaux récapitulatifs des inscriptions du tympan publiés par le philologue François De Coster. Le premier relève les inscriptions telles qu'elles apparaissent, le deuxième donne une version normalisée des textes latins reconstitués. (1)
François De Coster explique de son côté que les douze vers ont une valeur "monstrative" et constituent un commentaire de l'image. Par exemple l'adverbe ainsi (SIC) est répété quatre fois. On remarque toutefois un certain décalage parfois entre le texte et l’image. C’est le cas, par exemple, dans le Tartare, où les éprouvés restent visiblement insensibles et apathiques, alors que le texte indique qu’ils « tremblent et gémissent » (« Tremunt et gemunt »), qu'ils sont « ttourmentés de suplices »... Nous avons signalé à propos des phylactères de saint Matthieu cette distorsion qui provient d'un cadre temporel différent : la citation de l'Evangile se situe dans l'intemporel, dans le temps de la fin des temps ; l'image s'incarne dans le présent immédiat. Le texte s'adresse aux lettrés, c'est à dire aux clercs. L'image parle aux pèlerins. Les uns entendent différemment ce que les autres voient. Leurs traduisaient-ils les écrits ? Il parait surprenant de trouver parmi les chastes, les doux et les pacifiques un personnage tel que Charlemagne, comme si la piété était capable de compenser les manquements aux autres vertus. Le dernier vers est de nature très différente des autres : ce n'est plus un commentaire plus ou moins fidèle des scènes représentées ; c'est une apostrophe qui interpelle directement le passant au vocatif ("O peccatores..."), une remise en cause personnelle. Les inscriptions contiennent un sens explicite, parfois performatif que l'observateur attentif ne saurait négliger. C'est particulièrement vrai pour les vertus inscrites sur les banderoles tendues par les anges au-dessus de élus de l'Eglise en marche et qu'il est intéressant d'étudier à la lumière des travaux de l'éminent chartiste Jean Claude Schmitt. Enfin, pour un résumé synthétique des sources qui fondent notre interprétation, consultez la page "Sésame du tympan". Voir aussi l'illustration des illustrations en latin et celle du texte traduit. |
O PECCATORES TRANSMUTETIS NISI MORES JUDICIUM
DURUM VOBIS SCITOTE FUTURUM !
Cette admonition est formulée au subjonctif : "ô pécheurs, à
moins que vous ne changiez de vie, sachez que le jugement sera rude pour
vous" (5) ou encore "si vous ne réformiez pas vos mœurs". C'est une parénèse qui s'adresse aux vivants, à tout un chacun. Loin de constituer un
verdict édicté lors d'un jugement définitif, elle indique
clairement que l'action se déroule dans le temps présent,
c'est à dire avant le Jugement dernier. Le tympan s'inscrit dans l'immédiat,
en vue du jugement particulier* de tout un chacun prévu dans le futur
("le jugement sera rude" ou "vous
subiriez un jugement redoutable"), et surtout dans une perspective
offerte de rachat et non de condamnation pour l'éternité. La mise
en garde interviendrait trop tard s'il s'agissait vraiment d'un Jugement dernier. Avec le tympan de Conques, la pastorale de l'espérance est en
marche. Cette mise en garde en appelle à la conscience de soi et à la liberté de tout un chacun d'être maître de son destin.
Pour achever ce parcours, nous vous invitons à lire la page de conclusion.
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de Perse
(1) François De Coster, Pour une relecture des inscriptions du tympan de l'abbatiale de Conques, Etudes aveyronnaises, Recueil des travaux de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l'Aveyron, 2010, p. 325-327. (remonter)
(2)
On observe une alternance d'hexamètres et de pentamètres.
François De Coster rappelle que le mètre latin est composé
de pieds composés d'une combinaison de syllabes longues et courtes que l'on appelle dactyles,
spondée ou trochée selon sa composition : le dactyle est composé
d'une longue () suivie de
deux brèves (
),
le spondée est constitué de deux longues (
)
et le trochée, finale abrégée, ne comprend qu'une longue
et une brève, voire une seule syllabe, brève ou longue. La place
de chaque type de mètre répond à des règles précises
: par exemple dans un hexamètre, les quatre premiers mètres peuvent
être soit des dactyles, soit des spondées, mais le cinquième
est toujours un dactyle et le dernier peut être soit un spondée
soit un trochée.
A Conques, la plupart des vers sont donc des hexamètres spondaïques
(plus rarement dactyliques). Prenons l'exemple des vers gravés sur le
toit de la Jérusalem céleste :
Seuls les premiers et derniers vers du tympan se
terminent par un trochée dont voici la structure :
et
François
De Coster constate que la versification du tympan privilégie les spondées
face aux dactyles, ce qui renforce la solennité du ton. Elle comprend
en outre une combinaison particulière appelée distique élégiaque,
c'est à dire un couple de "deux verts liés par le sens ;
le premier est un hexamètre dactylique, le second un pentamètre
dactylique". Voici la structure métrique d'un distique élégiaque
:
Le tympan en comporte deux :
il s'agit des deux vers placés à la base de la procession de l'Eglise
en marche :
et de leur pendant du côté du Tartare :
Cf. François
De Coster, Pour une relecture des inscriptions du tympan de l'abbatiale de Conques,
Etudes aveyronnaises 2010, p. 295-327
(remonter au texte) Haut
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(3) François De Coster n'écrit-il pas à propos des vers du tympan : "Nous sommes à l'apogée de l'art roman, des croisades, des (re)fondations d'ordres monastiques et canoniaux. Oserions-nous écrire que le vers léonin -malgré sa structure rigide- participe à l'optimisme ambiant ?" François De Coster, op. cit., p. 305-306) ? (remonter) (4) Cette expression est tirée de l'évangile de saint Matthieu (24 : 30), mais ce signe de la croix visible dans le ciel n'est pas sans rappeler le monogramme du Christ apparu à Constantin Ier en 312 lors de sa victoire contre Maxence au pont Milvius, qui joua un rôle important dans sa conversion et dont il fit sa devise ("In hoc signo vinces"). Or précisément, ce chrisme composé des deux premières lettres grecques du nom du Christ (chi rho) figure au tympan, peu visible mais gravé et peint à l'intérieur du soleil levant du matin de Pâques. (remonter) (5) Les travaux de déchiffrage des banderoles effacées se poursuivent et de nouvelles hypothèses se dessinent. Nous en ferons état dès leur publication. (remonter) (6) Traduction de Favreau : cf. Robert Favreau, Jean Michaud, Bernadette Leplant, Corpus des inscriptions de la France médiévale, t. 9 Aveyron, Lot, Tarn, Paris, Ed. du CNRS, 1984 (Consultable et téléchargeable en ligne ). En voici le tableau complet :
NB L'inscription en arabe coufique pourrait être traduite par "Louange [à Dieu]" (remonter) (7) Sur le lien entre Caritas et Humilitas, voir la page consacrée au toit vertueux des anges. (remonter) (8)
"Gloria, Pax, Requies". Ces trois
mots se retrouvent dans un écrit d'un moine bénédictin
anonyme de l'abbaye de Bèze, du début du XIIe
siècle. Ils traduisent le désir du paradis. Le texte original
est cité par Dom Jean Leclercq dans l'Amour des Lettres
: « Quand verrons-nous le Seigneur Dieu dans la terre des vivants,
l’homme de paix (Pax), l’habitant
du repos (Requies), l’homme de
la main droite de Dieu ? [...] Cité de Dieu, que
de choses glorieuses (Gloria) n’a-t-on pas dites
de toi ! [...] |
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la page : 28/12/2020 |
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