7. HIÉRARCHIE DES TARTARES |
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DÉCRYPTAGE DES SCÈNES HISTORIÉES |
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LES DIFFÉRENTES CATEGORIES DE FAUTES Au sein des Tartares du tympan de Conques, on peut distinguer deux types de péchés : |
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- LES PÉCHÉS CAPITAUX |
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Un couple adultérin se présente la corde autour du cou. L'homme, aux mains liées, est coiffé comme un clerc. On appelle péchés capitaux des fautes graves qui sont souvent à l'origine d'une multitude d'autres péchés qui en découlent.
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![]() La luxure (couple adultérin) |
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- Autre péché capital : l'avarice. L'image renvoie par le jeu de la polysémie à la pendaison de Judas suite à sa trahison pour trente deniers. . |
![]() L'avarice |
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Eventuellement on pourrait voir encore un autre des sept péchés capitaux, la colère, mais ici retournée contre soi-même par ce suicidaire qui s’enfonce un poignard dans la gorge. Ce pourrait être aussi une allusion à l’« endura », le jeune à mort des Parfaits cathares dont l’hérésie manichéenne commence à se répandre dans le midi malgré la condamnation par l'Église romaine. |
![]() La colère (ou le Cathare suicidaire ?) |
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- LES PÉCHÉS MORTELS | ||
Certains péchés sont considérés comme mortels. Il s'agit de ceux qui sont commis délibérément, en toute connaissance de cause. C'est le cas de la calomnie. Ce menteur se voit arracher la langue à main nue pour avoir menti, calomnié, juré, médit, ou pire blasphémé… |
![]() Le calomniateur |
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LE BLASPHÈME
Ce moine est probablement un goliard, moine gyrovague qui voyage d'abbaye en château pour jouer à l'occasion sur sa rote (psaltérion) des airs profanes telles les "Carmina burana" et autres chants burlesques, satiriques voire paillards. L'épigraphie dresse une liste de profils humains voués par leurs fautes aux Tartares : ce sont tous les pervertis (perversi), les injustes (iniusti), voleurs (fures), menteurs (mendaces), cupides (cupidi), rapaces, (rapaces), trompeurs (falsi), et tous les criminels (scelerati). |
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UN PAS DE CÔTÉ HORS DES SENTIERS BATTUS | ||
Vous trouverez ici des interprétations assez éloignées de celle de la vulgate conformiste communément admise :
- pour mémoire, nous avons déjà évoqué non pas le prétendu faux-monnayeur mais bien le véritable maître de la monnaie, le serviteur de Mammon. |
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- De même, ce n’est pas un braconnier qui est rôti par un lapin, mais bel et bien le chasseur lui-même. Notons la position symétrique inverse des écoinçons de sainte Foy et de la résurrection des morts, qui indique implicitement que ces pécheurs sans foi ni loi ne mériteront pas le salut et brûleront éternellement dans les flammes de l'enfer. Celles-ci sont d'ailleurs représentée et il ne s'agit plus ici du feu métaphorique de la restauration, mais bien des flammes qui consumment et font rôtir ce "forban". |
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La suspicion d'homosexualité est d'ailleurs suggérée par la présence du diable aux oreilles de lièvre, bête réputée impure, fornicatrice, coprophage, et symbole pédérastique dans la Grèce antique : c’était en effet l’offrande traditionnelle de l’éraste à son éromène dans l’antiquité grecque. | ![]() le lièvre, offrande de l'éraste à l'éromène (céramique attique à figure rouge, Ve s. av. J.-C., Musée national étrusque, villa Giulia, Rome) |
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LE RITE STEDINGIEN, OU L'OUBLI DE DIEU | ||
Ce "chasseur" marginal embrasse sur la bouche un crapaud. C'est une allusion explicite au rite stadingien.
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![]() Le crapaud, symbole du rite des Stedinger |
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La vulgate (passablement folklorique) voit un gourmand dans ce personnage au très gros ventre. Le châtiment de la gourmandise serait une immersion dans une marmite de soupe... |
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Non, pour nous, il est question d'une faute beaucoup plus grave : c'est une scène proprement infernale. Une scène d'avortement. Les sorcières étaient en effet réputées capables de préparer des potions abortives. Le chaudron maléfique, les pieds fourchus, le mortier, le serpent et le crapaud sont les signes patents de la sorcellerie (et non des remèdes pour une indigestion...) |
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LES HÉRÉSIES | ||
Qui sont ces deux personnages un grand livre à la main, l'un debout l'autre couché dans la section des péchés sociaux du Savoir ?
- Bérenger de Tours (998-1088) qui doute de la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie ; - Pierre de Bruys (1095-1131) dont les adeptes brisent les autels et les croix ; - Arnaud de Brescia (1100-1155), disciple d’Abélard, dénonce le pouvoir temporel des papes et participe aux révoltes des Romains contre le pape ; - Henri de Lausanne (1116-1148) fustige le célibat des clercs, prône une pauvreté totale du clergé, réfute l'existence d'un feu purgatoire et n'admet que le salut ou la damnation (aux antipodes du propos du tympan de Conques !) ; - Enfin, l'hérésie cathare est bien présente au début XIIe s. comme l’atteste le concile de Toulouse en juin 1119 où Calixte II renouvelle la condamnation des hérésies manichéennes languedociennes.
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![]() Les hérétiques avec leurs livres de faux prophètes |
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Une hypothèse à confirmer | ||
Une énigme persiste avec les quatre clercs qui surplombent l'empereur Henri V. - Anaclet II (1130-1138) ; Quoi qu'il en soit leur proximité immédiate avec un empereur induit une association d'idée entre ces clercs et le pouvoir politique.
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![]() Le quarteron des antipapes ? |
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Les scènes ne sont évidemment pas disposées au hasard. Il semblerait qu'il y a un gradient horizontal de gravité croissante des fautes au fur et à mesure que l'on s'éloigne du Christ (et que les regards se détournent de plus en plus souvent de lui). N'y aurait-il pas aussi un gradient vertical des péchés véniels aux péchés mortels, la rédemption devenant de moins en moins possible au rythme de l'éloignement du Ciel ? Dans cette hypothèse, avec la scène de l'avortement dans le coin inférieur droit, nous serions vraiment au plus profond des enfers, sans aucun espoir de rémission. Dans cette supposition, on peut s’interroger sur le positionnement de la sphère du domaine social juste au-dessus du domaine privé. |
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(1) La même image existe dans l'enfer du portail de la cathédrale Saint-Etienne de Bourges. (voir une illustration) Au XIIIe siècle, les stedinger furent excommuniés en bloc puis massacrés en 1230, au cours d'une croisade, au moment où s'achève la celle contre les Albigeois. (retour)
(2) Ce renégat est dévoré par le "courroux de feu" promis aux apostats dans l'épître aux Hébreux : « si nous péchons volontairement, après avoir reçu la connaissance de la vérité, il n'y a plus de sacrifice pour les péchés. Il y a, au contraire, une perspective redoutable, celle du jugement et d'un courroux de feu qui doit dévorer les rebelles ». (He 10, 27-28) (retour)