1. QUE REPRÉSENTE LE TYMPAN DE CONQUES ? 1. UN JUGEMENT DERNIER - Au-dessus du tympan, sur l'archivolte, 17 angelots enroulent le firmament et dévoilent la scène. C'est l'illustration de l'apocalypse de Jean : « le ciel disparut comme un livre qu’on roule ». (Ap 6, 14) |
||
Les anges curieux |
||
- Deux anges sonnent alors de la trompe pour annoncer le Jugement. (Désormais, le tympan s'inspire de l'évangile de saint Matthieu, seconde source d'inspiration des Jugements derniers) |
||
« Et il enverra ses anges avec une trompette sonore pour rassembler ses élus » (Mt 24 : 29) |
||
D'étranges signes célestes se manifestent : - les astres du jour et de la nuit perdent leur éclat ; |
||
« le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière » (Mt 24, 29) (1) |
||
- Une immense croix apparaît alors dans le ciel : c'est « le signe du Fils de l'Homme » annoncé par Matthieu. (2) | ||
<H>OC SIGNVM CRVCIS ERIT IN CӔLO CVM |
||
- Deux anges déploient une banderole autour du Christ reprenant les versets de saint Matthieu à propos du Jugement dernier : | ||
<VENITE BENEDICT>I PATRIS MEI POSSIDETE <REGNVM QVOD> VO<BIS PARATVM EST> < Venez, bénis> DE MON PERE, PRENDRE POSSESSION <du royaume préparé pour vous>
|
||
2. LA PAROUSIE (RETOUR DU CHRIST A LA FIN DES TEMPS) (4) Selon les Écritures, le Messie doit revenir sur Terre pour “juger les vivants et les morts” à la fin des Temps. L scénographie du tympan en reprend toutes les caractéristiques : |
||
Le retour triomphal du Christ de la Parousie |
L'adventus d'un empereur romain |
|
- Le Christ Juge et Roi (JVDEX REX) est ceint de la ceinture des magistrats et vêtu du paludamentum, le manteau impérial ; son retour est annoncé à grands coups de trompes ; | ||
La représentation du retour triomphal du Christ est en tous points fidèle à la description de la parousie selon le théologien du XIIe s. Honoré d’Autun (5) : |
||
- Au-dessus du Christ, deux anges portent la Croix glorieuse comme un trophée ; (6) |
||
- Le cortège est illuminé par deux anges céroféraires qui portent les cierges ; |
||
- Il est encensé par l'ange thuriféraire avec son encensoir ; | ||
- Il est annoncé par l'ange gonfalonier qui brandit l'étendard de la victoire ; | ||
- Il est entouré de fonctionnaires : un Questeur (scribe) qui porte le registre où est scellé le sort de chacun ; (7) | ||
- Il est protégé par un des soldats de l'armée victorieuse, armé d'un glaive et d'un écu pour repousser les forces du mal ; | ||
- Enfin, il est suivi du long cortège des vaincus, prisonniers du Tartare. | ||
Dans la pure tradition antique, iIl y a même les histrions grotesques (ou esclaves bouffons satiriques vêtus d'un pagne à frange) qui moquent et narguent les captifs vaincus. |
||
|
||
- À la suite du cortège, pèlerins et fidèles passent sous l'arc de triomphe du portail de Conques. Le tympan célébre le triomphe de l’Église,
conçu peu après 1100 et la prise de Jérusalem, c'est à dire une époque
où l'on croyait la Parousie imminente. Les références explicites à l'adventus romain révèle l'influence profonde des racines latines sur l'imaginaire des concepteurs du tympan de Conques. |
||
- un second indice indique la Parousie : la position des bras du
Christ, bras droit levé vers le ciel et gauche abaissé vers la
terre ; c'est à dire le geste caractéristique de l'Ascension dans
l'iconographie chrétienne. Or, les Écritures précisent que ce sera « de la même manière » que reviendra le Christ. (8) |
||
L'Ascension du Christ. Tombeau des compagnes de sainte Ursule (Ve s.), chapelle d'Isarn, crypte de l'abbaye Saint-Victor, Marseille. Le second avènement du Christ se fera « de la même manière » (Ac 1, 11) |
||
Notons au passage que cette gestuelle se retrouve ailleurs, par exemple à Saint-Georges de Camboulas (9) : |
||
Beaucoup de similitudes entre Conques et le Christ en majesté de Saint-Georges de Camboulas |
Le Christ en majesté de Conques. Survolez les deux images pour repérer les similitudes |
|
|
(2) « Et alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l'homme. » (Mt 24, 30) (retour)
(3) Les inscriptions entre deux < > indiquent les fragments manquants ou éludés. (retour)
(4) L'historien de l'art Yves Christe, spécialiste de l'iconographie chrétienne antique et médiévale, est le premier universitaire à classer le tympan de Conques parmi la catégorie des Parousies. Dans son ouvrage de référence, “les Jugements derniers”, ce professeur émérite à l'Université de Genève, décrit les représentations du Christ dans une mandorle, entouré d’anges et surmonté de sa croix glorieuse :
« Ce schéma sera régulièrement repris à Conques et à Beaulieu… C’est l’image du retour comprise comme l’Adventus, comme un cortège triomphal où l’empereur est précédé des officiers portant ses insignes et son trophée. C’est sous cette forme que saint Jean Chrysostome dans un sermon célèbre, cité partout au Moyen Age, avait décrit le second avènement du Christ selon saint Mathieu. (Mt. 24, 30-31) » (Yves Christe, Les Jugements Derniers, Zodiaque, La Pierre-Qui-Vire, coll. Les Formes de la nuit n°12, 2000 p. 172). (retour)
(5) Honorius Augustodunensis, circa 1080 - circa 1154, originaire d'Augustoduna, près de Ratisbonne. (retour)
(6) Le trophée ou tropaion (tropæum, τρόπαιον), monument commémoratif d'une victoire militaire, était à l'origine un arbre taillé en forme de croix aux bras de laquelle on acrochait les armes des vaincus, sur le champ de bataille. (retour)
(7) : Le livre porte l'inscription : "SIGNATVR LIBER VITӔ" (le Livre de Vie est scellé) ; il contient la liste des élus, nous dit l'Apocalypse : « La Mort et l'Hadès rendirent les morts qu'ils gardaient, et chacun fut jugé selon ses œuvres. Alors la Mort et l'Hadès furent jetés dans l'étang de feu - c'est la seconde mort cet étang de feu. Et celui qui ne se trouva pas inscrit dans le livre de vie, on le jeta dans l'étang de feu. » (Ap 20, 15) (retour)
(8) cf. Actes des Apôtres (Ac 1, 9-11) (retour)
(9) Ce Christ de Saint-Georges de Camboulas dans les gorges du Viaur (commune de Pont-de-Salars, aveyron) est probablement un réemploi du tympan de l'ancienne cathédrale de Rodez et a dû servir de prototype pour le Christ de Conques. (retour)