Vénérable Hugues de Saint-Victor (1096-1141)

 

Ce philosophe, théologien et grand pédagogue a exercé une profonde influence au XIIe s. notamment au sein de la prestigieuse école de Saint-Victor, sur la Montagne Sainte-Geneviève à Paris, qui précède et annonce les universités du XIIIe s. L'ordre canonial des chanoines de Saint-Victor, (abbaye fondée vers 1108 par Guillaume de Champeaux) fut un important foyer de la "Renaissance romane". Hugues y meurt en 1141, c'est à dire à l'époque où les Bénédictins de Conques -qui ne pouvaient ignorer ses très célèbres travaux- s'apprêtent à ériger le tympan, en s'inspirant très largement des méthodes didactiques du maître d'Abélard.

Sa méthodologie didactique se fonde sur les procédés de l'ars memoriæ hérités de l'antiquité : elle recours largement à l'organisation spatiale du discours organisé selon le plan d'une maison (le tympan de Conques en suit le paradigme). Elle étaye le raisonnement sur la connaissance, et accorde une importance capitale à l'organisation temporelle, autrement dit à l'Histoire, exactement comme le tympan est une mmise en scène de l'Histoire du Salut. En fait, cet humaniste avant la lettre rénove toute la réflexion théologique en plaçant la raison, la nature et l’Histoire à la base de la connaissance. Savant encyclopédique, ce "Nouvel Augustin" disait-on, avait comme devise : « Omnia Disce » (Apprends tout !)
Nous sommes très loin du « Moyen Age Merveilleux » de l’An Mille et du Livre des Miracles de sainte Foy (1010-1020). Liant la logique à la connaissance du vrai, mais aussi la connaissance à la pratique vécue de l’amour, et la raison à la mystique, il inaugure une pédagogie destinée à restaurer l’être humain dans sa pureté originelle après un processus de restauration post-mortem. C'est l'« opus restaurationis », l'œuvre de restauration de l'âme qui consiste à restituer la vision première (c'est à dire pré-adamique) sur le monde, pour changer le regard de convoitise en regard d’amour (caritas).

Sa pensée, sa méthodologie, sa pédagogie sont à l’origine de la scolastique et leur rayonnement se perpétue jusqu’à la fin du Moyen-âge. Mais c'est aussi un mystique sensible : liant le sens à la sensation, sa conception de l’esthétique l’amène à s’opposer à saint Bernard le cistercien iconoclaste. Défenseur de la beauté de la nature et des sens à qui l’on doit toute notion artistique et spirituelle, Hugues qui croit à la « descente de l'âme dans les harmonies du corps » (Didascalicon) ne rétorque-t-il pas au Maître de Clairvaux : « et les caresses sont bonnes ! » ? (ce que ne désavouerait pas un Emmanuel Levinas pour qui la caresse transcende le sensible) (1)
A propos des rapports qu'entretiennent foi, amour, sensualité et chasteté chez les troubadours, Charles Camproux montre que l'amour des Victoriens, notamment chez Hugues de Saint-Victor, a bien des traits communs avec celui des troubadours. Il souligne que « pour les Victoriens, la contemplation de Dieu ne se sépare pas de l'amour » et que, réciproquement, « l'amour [profane] ne se sépare pas de la contemplation de Dieu. » (2) Et l'auteur de citer alors Etienne Gilson : « Il est manifeste à la fin du XIIe siècle que les partisans d'une philosophie mise au service de la foi ont gagné leur cause contre les théologiens de la stricte observance et les tenants de la pure méthode de l'autorité ». (3) Une victoire de courte durée si l'on en juge aux tragiques événements survenus dans le midi au début du siècle suivant...

La pastorale hugonienne, dans la droite lignée de celle de Jérôme de Stridon statufié au tympan est à l'unisson de celle du tympan de Conques : « du commencement du monde jusqu'à la fin, il n'y a pas de vraie bonté sans la justification* par la grâce et par la grâce du Christ ». (4) On peut dire que sa théologie, à l'instar de l'esprit du tympan de Conques, est animée du même « joi d'amor », cette flamme à la fois brûlante, ludique et joyeuse qui embrase les troubadours.
C'est en appliquant à la lettre ces principes que le tympan nous raconte, au gré d'une histoire de temps et d'une histoire de lieux, la grande Histoire du Salut.
On comprend mieux pourquoi l’abbaye se glorifie de conserver une relique du « Vénérable Hugo ».

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(1) Cf. Emmanuel Levinas, Totalité et infini.

(2) Charles Camproux, le "joy d'amor" des troubadours. Jeu et joie d'amour, Causse et Castelnau éditeurs, Montpellier, 1965, p. 150.

(3) ibidem

(4) Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, Beauchesne.  Le tympan de Conques semble opérer la synthèse des écrits théologiques de deux grands maîtres spirituels de Saint-Victor : Hugues (1096 ? - 1141) qui insiste sur le rôle de la Grâce émanant du Père et du Fils d'une part, et Richard, prieur de l'abbaye Saint-Victor  (circa 1110 - 1173) qui développe une réflexion sur la Trinité, d'autre part. A Conques, l'Esprit Saint est représenté sous forme d'ondes.  Voir la  brève synthèse sur la théologie scolastique et monastique de l'abbaye Saint-Victor, dans l'audience de Benoît XVI du 25/11/2009.

 

 

 

 

Hugues de Saint-Victor
Hugues, directeur de l'école monastique de Saint-Victor

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