Mais
la querelle d’autorité se double aussi d’affrontements
armés entre la papauté et l’empire, avec une
succession de succès et de revers, accompagnés souvent
de troubles politiques, de révoltes internes, d’autant
plus aisément que l’Eglise délie clercs, vassaux
et chrétiens de tout serment de fidélité envers
l’Empereur excommunié.
La lutte cessera (provisoirement) au Concordat de Worms en 1122,
sous Calixte II.
Mais le conflit qui oppose adversaires
aux partisans de l'empereur rebondit avec la lutte des Guelfes (partisans de la papauté) et des
Gibelins (qui soutiennet les Hohenstaufen) depuis l'avènement de Conrad
III en 1138 et qui durera jusqu'en 1250 avec la mort de Frédéric II.
Le même enjeu se retrouve en Angleterre, dans le conflit qui opposa Thomas Becket à Henri II Plantagenêt et aboutit à l'assassinat de l'archevêque de Cantorbéry par les sbires du roi en 1170. Conques, alors dépendante du duché d'Aquitaine, apporté au Plantagenêt par son mariage avec Aliénor; ne pouvait pas être indifférente à ce conflit, d'où le culte alimenté par une chapelle dédiée et une statue de saint Thomas, martyr canonisé en 1173.
RIVALITÉ DES SACRALITÉS
La vision du sort dans l'au-delà des grands de ce monde
(Charlemagne, Louis le Pieux, les empereurs germaniques Henri IV
et Henri V, les premiers du côté des élus,
les derniers de l'autre côté) est une arme politique de l'Eglise, nous explique Jacques Le
Goff. (3)
Il nous semble évident aujourd'hui, à l'heure des débats sur la laïcité, que la cohabitation des
pouvoirs temporels et spirituels suscite d'éternels antagonismes.
Cependant pour comprendre l’importance de cette querelle,
il faut considérer son fondement, qui est autant spirituel
que temporel. Si l'on admet souvent que la lutte entre papes et
empereurs relève d'une rivalité de pouvoirs politiques
ou temporels, on sous-estime parfois la dimension spirituelle de
cet affrontement : « L’Etat constituait moins la
forme politique de la cité temporelle, qu’un ordre
sacral culminant en la personne de l’empereur ou du roi, oint
du Seigneur et son lieutenant sur terre. Ainsi, la fameuse Querelle
des Investitures, qui opposa à la fin du XIe siècle
et au début du XIIe les papes aux souverains germaniques,
n’est pas -comme on le dit trop souvent- un conflit entre
le pouvoir spirituel et l’autorité laïque, mais
une lutte à outrance entre deux sacralités rivales.
Dans un monde dont l’ordre était fixé par la
Providence et l’organisation politique et sociale régie
par des modèles transcendants, la notion même de temporel
n’avait pas de sens. » (A. Vauchez, La spiritualité
du Moyen-âge occidental, Seuil Histoire, 1994, p. 45)
Dans son ouvrage de référence, « la philosophie
au Moyen-Âge », Etienne Gilson constate que «
l’absorption de la Cité Terrestre et de l’Empire
par la Cité de Dieu et par l’Eglise, semble caractéristique
du XIIe siècle » et, citant Hugues
de Saint-Victor : « Dans l’Eglise la dignité
sacerdotale consacre le pouvoir royal, en le sanctifiant par sa
bénédiction et le formant par son institution.
» (De Sacramentis, II, 12), il poursuit en écrivant
que ce seul texte établirait suffisamment un fait d’importance
capitale : la source la plus certaine de la théocratie pontificale
du XIIe siècle est la théocratie juive
de l’Ancien Testament. (Cf. Etienne Gilson, « la
philosophie au Moyen-Âge », bibliothèque
philosophique Payot, p. 331-332)
On est frappé également par l'omniprésence
des thèmes du sacerdoce et de la royauté dans ce tympan.
Outre Charlemagne et les empereurs germaniques Henri IV et V, le
Christ juge et roi (Judex Rex), on trouve six autres têtes
couronnées avec Melchisédech, Zacharie et les quatre
reines, sans parler du couronnement céleste de sainte Foy
ni du pouvoir politique conféré à Moïse
ou des tablettes d'Ezéchiel prophétisant la réunion
des royaumes d'Israël et de Juda. Ce tympan révèle
que la question des rapports entre le pouvoir spirituel et le pouvoir
temporel est un élément essentiel de la société
médiévale.
Page précédente
(1) A Clermont, le pape Urbain II dénie aux princes toute investiture ecclésiastique et délie tous les prêtres du serment de fidélité envers un quelconque suzerain laïc. (retour)
(2) Ici, en quelque sorte, celui qui exerce le pouvoir
et celui qui le légitime inversent donc leurs rôles habituels ; l'évêque
exerçant un pouvoir temporel et le suzerain le légitimant ! C'est
cette inversion des hiérarchies que ne peut admettre le pape Grégoire. (retour)
(3) « Quel meilleur moyen pour l’Eglise
pour rendre dociles à ses instructions –spirituelles
ou temporelles– les souverains que d’évoquer
les punitions qui les attendent dans l’au-delà en cas
de désobéissance et le poids des suffrages ecclésiastiques
pour leur délivrance et leur salut ? » Jacques
Le Goff, La naissance du Purgatoire, folio histoire, éd.
2002, p. 90. Cet historien rappelle que l'usage de ce stratagème
remonte au pape Grégoire le Grand qui a relaté dans
ses Dialogues la vision d'un certain Julien révélant
la punition du roi ostrogoth Théodoric le Grand, jeté
dans le cratère d'un volcan des îles Eoliennes pour
avoir laissé mourir de faim en prison le pape Jean 1er.
(ibid. p 130) (retour) |