Les cultes jumelés de Marie de Magdala et de sainte Foy à Conques

UN CULTE DEVENU RÉCEMMENT UNIVERSEL

Enfin ! depuis peu, l'Église catholique (re)considère Marie de Magdala pour ce qu'elle est intrinsèquement, à savoir le premier témoin de la résurrection du Christ, base de la foi chrétienne, et non plus comme l'incarnation du simulacre de la "pécheresse repentie", sous le vocable de "(Marie) Madeleine". Deux décisions doctrinales entérinent ce statut :

L’Abbaye de Conques ne peut que se réjouir de cette reconnaissance de Marie de Magdala, et n’a pas à opérer de « retournement » pour lui rendre un culte « plus convenable » (sous-entendu que celui de l’affabulation de la « Pécheresse » prostituée), car cette abbaye bénédictine, depuis plus de mille ans, est restée fidèle à la foi des premiers chrétiens qui vénéraient déjà « l’Apôtre des Apôtres ».
A Conques en effet, le culte de Marie de Magdala revêt une importance équivalente à celui de sainte Foy (4), avec qui elle est systématiquement jumelée, comme en témoignent la liturgie, les reliques, la littérature, la statuaire médiévale (aussi bien romane que gothique) et les tapisseries du Grand Siècle.

LA STATUAIRE

Au tympan, le personnage de Marie de Magdala joue un rôle capital. Elle est effectivement présente deux fois : au registre inférieur à la fin de la galerie de l’Ancien Testament, où elle tient une torche allumée et, en tant qu'Apôtre des apôtres, le livre de la Bonne Nouvelle. Notons que sa tête est couronnée, signe d'une ordination  céleste. Elle apparaît une seconde fois, au registre médian, au commencement de la frise dite de la « marche de L’Église » dans le siècle, où elle se « retourne » portant son regard vers le Christ. Elle fait, comme sainte Foy, sa voisine immédiate, le même signe de la foi. Ainsi dupliquée, Marie de Magdala est placée volontairement à la charnière des temps des Nouveau et Ancien testaments, porteuse à la fois de deux Révélations Mosaïque et Christique, comme un signe mnémotechnique de transition.
La couronne sacerdotale de Marie de Magdala
Marie de Magdala porteuse de la Bonne Nouvelle
marie de Magdala
Le retournement de Marie de Magdala


LES RELIQUES

Les reliques de sainte Foy sont bien connues. Mais le Trésor de Conques possède également deux reliques insignes de Marie de Magdala. La première est contenue dans le reliquaire-évangéliaire d’albâtre d'époque romane (illustration ci-contre). On y voit deux émaux placés de part et d'autre de la plaque d'albâtre présentant deux saintes couronnées d'un diadème (signe de royauté) surmonté d'une auréole curieusement carrée (et non pas ronde), ce qui indique une sainteté terrestre. (5)
Celle de gauche porte la mention "S. FIDES" et représente sainte Foy ; sur celle de droite est indiqué "S. MARIA". Cette sainte à l'auréole carrée, c'est Marie de Magdala. On ne saurait la confondre avec la Vierge Marie plus souvent désignée à cette époque par l'expression « Virgo Maria » et toujours surmontée d'une auréole ronde, car céleste.

La seconde relique est présentée dans le reliquaire triptyque gothique, (illustration ci-dessous) dont le volet gauche rassemble les reliques d’une vingtaine de saints, tandis que le volet de droite est réservé aux insignes reliques de la Vierge, du pain de la Cène, qui encadrent celles de Marie de Magdala. Cette dernière est clairement identifiée par la mention « DE M[ARIA] MAG[D]ALEN[A]E ».

Reliquaire d'albâtre dit autel portatif de sainte Foy Christ Aigle(Jean) Homme (Matthieu) Taureau (Luc) Sancta Fides Sancta Maria Lion (Marc)
Reliquaire d'albâtre ou autel portatif de sainte Foy, avec les émaux de Sancta Fides et de Sancta Maria (de Magdala), ancien évangéliaire datant de l'époque de Bégon III, Trésor Ecclésiastique de Conques
émail de Sancta Fides émail de Marie (de Magdala)
Détail des émaux de sainte Foy à gauche et de Marie de Magdala à droite (reliquaire d'albâtre)

MARIA  MAGDALENAE : Marie de Magdala Inscription : de Mariae Magdalenae de Mariae Ma[g]dalenae de Mariae Ma[g]dalenae
Détail du volet droit de triptyque gothique (survolez l'image pour visualiser les détails)

 


LES TAPISSERIES
Au musée municipal de Conques sont exposées 7 tapisseries du XVIIe siècle consacrées à "Marie-Madeleine", autrefois tendues dans la basilique et la salle capitulaire. Elles représentent : la vie mondaine de Marie-Madeleine (en aristocrate courtisane ; donc confondue avec la pécheresse anonyme) ; la résurrection de Lazare ; la réception de Jésus à Béthanie (Marie de Magdala confondue avec Marie de Béthanie, sœur de Lazare et de Marthe) ; le lavement des pieds chez Simon le Pharisien (Marie de Magdala confondue avec la pécheresse anonyme) ; les Saintes femmes au tombeau ; l'apparition du Christ à Marie de Magdala ("Noli me tangere") ; l'arrivée de Marie-Madeleine à Marseille (6) ; enfin l'élévation de Marie-Madeleine à la Sainte-Baume. Ces tapisseries, objets du culte consacré à Marie de Magdala, font l'objet de l'avant-dernier livre de l'auteur. Elles confirment la perpétuation d’une vénération qui bénéficiait du prestige royal (7) et d’une portée nationale.

Tapisserie de l'apparition du Christ à Marie de Magdala, musée de Conques
Noli me tangere, tapisserie de Felletin représentant Marie de Magdala se "retournant" vers le Christ qu'elle prend pour un jardinier.
(Manufacture de Felletin, Creuse, XVIIe s. Musée municipal de Conques)

Ce musée conserve également dans une salle non ouverte au public la série de tapisseries de même facture consacrées à sainte Foy. Celles-ci sont périodiquement exposées dans le chœur de la basilique à l'occasion des fêtes accordées à la fillette martyre(8).

LA LITURGIE

La liturgie de Marie de Magdala comporte deux éléments : la « Cançoun dé Santa Fé », texte en occitan du XIIe et le Martyrologe du XIVe siècle.

  • La Cançon de Santa Fe
    S'appuyant sur les travaux du Père dominicain Pierre-Marie Gy, Jacques Le Goff a souligné le rôle central de la liturgie dans la société médiévale de l'Occident chrétien.(9) A Conques, sainte Foy et Marie de Magdala sont associées depuis l'origine dans la même liturgie célèbrée lors de leurs fêtes respectives et qui se traduisait au Moyen-Age par une procession dansée au sein même de la basilique, rythmée par la « Cançon de Santa Fe ». C'était une sorte de Carole où deux cortèges se faisaient répons d'un collatéral à l'autre, se rejoignant, telle une tresse, dans la nef centrale. Au vers 14, l'auteur déclare lui-même : « Canzon audi q'es bella'n tresca », c'est à dire qu'il a entendu une chanson qui se danse en une grande tresque.(10)
    Fondés sur l'étude des manuscrits trouvés à Leyde et à l'abbaye de Fleury, les travaux d'Alfaric et de Hoepffner ont montré au début du XXe siècle que cette « Cançon de Santa Fe » et le culte de Marie de Magdala étaient intimement liés : « le poème de sainte Foy et sa suite à Leyde formaient jadis la première partie du manuscrit le plus volumineux qui appartenait à la bibliothèque de Fleury. Il débutait par la première partie du "Transitus beatae Mariae Magdalenae". Le manuscrit primitif commençait par un office en musique en l'honneur de sainte Foy. Nous eûmes la joyeuse surprise de trouver un manuscrit de la même époque réunissant des textes sur sainte Marie-Madeleine et sur sainte Foy. Le volume s'achevait sur le poème provençal de la Cançon de Santa Fe ». (11)
  • Le martyrologe
    « Le martyrologe de sainte Foy du XIVe siècle […] décrit la farandole sacrée appelée « carole » et exécutée pour sainte Foy [lors des] fêtes du début du calendrier liturgique [des 12 janvier et 2 février]. [...] Il est dit que les danseurs appartenant à la ‘Confrérie de Notre Dame’ se vêtissaient de chapes et dansaient la carole de sainte Foy, soit dans le cloître, soit dans la chapelle consacrée à Notre Dame. » (12)


D'après l'historien Jacques Dalarun, le développement du culte de Marie-Madeleine au XIIe siècle est à mettre en corrélation avec la naissance du Purgatoire. Le personnage de la pécheresse repentie formait une voie médiane entre l'image féminine de l'Eve, cause du malheur du monde et celle de la Vierge Marie, son antithèse, mais aussi modèle inatteignable de la parfaite virginité. « Georges Duby suggère le rapprochement entre les voies médianes que constituent Marie-Madeleine et le Purgatoire, tel que le perçoit Jacques Le Goff dans "la naissance du Purgatoire" ». (Jacques Dalarun, Dieu changea de sexe, pour ainsi dire. La religion faite femme, XIe-XVe siècle, p. 74, Fayard, 2008)
Conques, joignant l’amour de l’art au respect des Écritures, offre la pureté du culte spirituel, qui nous permet aujourd'hui de rendre à cette femme la dignité que la malignité de je-ne-sais-quel démon masculin lui avait ravie, par le « détournement » de son « retournement ». (Voir d'autre part notre plaidoyer pour l'élévation de Marie de Magdala.)

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(1) Lire le texte en ligne (remonter)

(2) Décret sur la célébration de sainte Marie-Madeleine élevée au grade de fête dans le Calendrier Romain Général, 10 juin 2016 : (version pdf sur le site du Vatican) (remonter)

(3) C’est-à-dire le calendrier des Fêtes liturgiques (remonter)

(4) Elle-même déjà reconnue « Apôtre » par Pascal II en 1101 et confirmée au XIVe siècle (remonter)

(5) La forme carrée se retrouve sur les motifs qui ornent la couronne de sainte Foy au tympan. (voir le détail) (remonter)

(6) Selon la légende provençale, et la "Légende Dorée" de Jacques de Voragine, "Marie-Madeleine" se serait échouée aux Saintes-Maries-de-la-mer, puis se serait retirée à la Sainte-Baume. Selon la tradition de l’Église Orthodoxe, elle mourut à Ephèse où avec saint Jean et la Vierge Marie, elle s’était exilée. (Remonter)

(7) La monarchie française a accordé un culte royal à Marie-Madeleine, depuis le pèlerinage des capétiens, d'abord à Vézelay puis à la Sainte-Baume, (dès la réunion de la Provence à la couronne de France sous saint Louis), jusqu'à l'édification de l'église de la Madeleine à Paris par Louis XV. (Remonter)

(8) Sainte Foy est une jeune fille brûlée vive puis décapitée en 303 à Agen en raison de sa foi chrétienne. Ses reliques ont été "volées" en 866 par un moine de Conques où elle fit alors de nombreux miracles. Voir la chronique de l'abbaye. Elle est célébrée à Conques le 6 octobre. (Remonter)

(9) Jacques Le Goff, A la recherche du temps sacré, coll. tempus, Perrin, 2014, p. 30. (Remonter)

(10) La tresque (tresca en occitan) est une procession composée de deux chaînes de danseurs qui se donnent répons depuis les bas-côtés opposés et qui progressent vers l'autel en se rejoignant au centre de la nef en formant une tresse. Elle ressemble à une carole. (remonter)

(11) Prosper Alfaric et Ernest Hoepffner, La chanson de sainte Foy, Les Belles Lettres, Paris, 1926, t. I (fac-simile) et t. II (traduction). Cité par Pierre Séguret, in Conques, le trésor des deux aimantes, Editions du Tricorne, Genève, 2012, p. 29-30. (Remonter)

(12) André de Mandach, « La chanson de sainte Foy en occitan : chanson de geste, mystère ou ‘théâtre de danse’ ? », in La vie théâtrale dans les provinces du midi, Actes du IIe colloque de Grasse, 1976, publiés par Yves Giraud, Gunter Naar, Tübingen / Jean Michel Place, Paris, Etudes littéraires françaises, 1980, p. 34-35.  « […] pro faciendo karolam in monasterio sive in capella Beatae Mariae. [...] Translatio Sancta Fidis in cappis et cum Karola, sed sine processione. »  et « purificacio Beatae Mariae Virginis in cappis et cum karola, tam sacristae quam confratiae Beatae Mariae et cum processionne. » La pratique de danses sacrée dans unne église semble donc se maintenir au XIVe s., malgré l'interdiction de danser formulée lors du deuxième concile de Lyon en 1274. 
Voir aussi : Denis Grémont, « Le culte de Ste-Foi et de Ste-Marie-Madeleine à Conques au XIe siècle d'après le manuscrit de la Chanson de Ste-Foi », Revue du Rouergue, t. 23, 1969, p. 165-175. (Remonter)

Dernière mise à jour : 18 octobre 2023

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