Chapitre premier : la structure générale du tympan
Suivant les principes méthodologiques de la didactique victorine, remarquablement élaborés par les clercs de l'école de l'abbaye de Saint-Victor à Paris, le tympan s’organise autour des deux axes fondamentaux, de l’espace et du temps qui constituent les fils conducteurs de lecture du tympan.
C’est d’abord une histoire de lieux :
L'ORGANISATION SPATIALE
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LA CITÉ DE DIEU L'ensemble constitue la Cité de Dieu. Cette Cité englobe en effet le Ciel, le paradis et même les Tartares, puisqu'Il règne sur l'ensemble des mondes (1). Par ailleurs, le schéma global de de la Cité de Dieu est celui d'une maison, plus précisément d’une série de maisons emboîtées, bien perceptibles avec leurs toits, leurs portes, leurs arcades, leurs cloisons et leurs étages. Le gâble du porche représente le toit de la Cité. Les linteaux en bâtière du registre inférieur symbolisent les toits de la Jérusalem céleste et de l'entrepôt du diable. Ce schéma architectural est directement inspiré des méthodes pédagogiques de la scolastique : il applique, à la lettre, les principes rhétoriques et les techniques mnémotechniques de l’ars memoriæ brillament illustrée par l'école de Saint-Victor. (voir chapitre 3). |
![]() Le schéma d'ensemble est celui d'une maison avec ses toits (rouge) ; ses portes (vert) ; ses arches (jaune) ; ses murs, planchers et plafonds (noir) |
La technique est si minutieusement appliquée, que l'on peut affirmer que le tympan est structuré comme un langage ! (En savoir plus)
TOPOGRAPHIE DE LA CITÉ DE DIEU : « IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES DANS LA MAISON DU PÈRE »
Le tympan, conformément à la géographie de l'au-delà
telle qu'on la concevait au XIIe s., représente donc les différents
lieux où résident les âmes après
leur mort dans des "demeures" (2) ou réceptacles différents selon le sort qu'elles ont mérité. Nous reprenons simplement la terminologie employée par saint
Bernard de Clairvaux lorsqu’il évoque la répartition
des âmes après la mort :
« Quand les péchés de quelques-uns, ainsi que l’évidente ardeur au bien de quelques autres, passent en jugement, alors les premiers, insouciants d’une sentence immédiate à la propre mesure de leur crime, disparaîtront dans les Tartares (in Tartara deficiuntur) ;
les autres, directement et sans tarder, l’âme entièrement libérée, s’élèvent aux demeures préparées pour eux (regione paratas sibi sedes). » (3)
A Conques, tous les personnages, vivants et morts, sont répartis de part et d'autre du Christ, soit à sa droite, dans les Demeures paradisiaques*, soit à sa gauche, dans les Tartares*. Il convient donc de distinguer ici trois univers différents : les Tartares, les Demeures paradisiaques et le Ciel.
N.B. Le Ciel ne doit pas être confondu avec les demeures paradisiaques. L’Enfer, autre lieu d'éternité, est destiné à châtier les damnés au jour du Jugement dernier. (N.B. Il est probable, selon certains théologiens, que les impies, les pires criminels et ceux dont les péchés mortels ne sauraient en aucun cas être remis, soient d'ores et déjà, dès leur jugement particulier, plongés dans l'enfer qui n'est donc pas vide, mais ce n'est pas, selon nous, le cas de tous les éprouvés du Tartare de Conques. Aussi le terme Enfer ne pourra être employé ici sans réserve que dans les parties les plus reculées du tympan, là où les fautes ne pourront être pardonnées : nous en dévoilerons deux cas majeurs). Les défunts représentés dans la vision conquoise
de l'au-delà séjournent plutôt d'autres réceptacles
: - les Tartares, terme latin équivalent de l'Hadès des Grecs et du Shéol hébraïque (cf. Psaume 139) : c'est le royaume des morts, le séjour provisoire des défunts dans l'attente du Jugement dernier et de la résurrection des corps. Ainsi, en quelque sorte, certains lieux du Tartare que nous avons sous les yeux sont des lieux de pénitence provisoires, des lieux de purgation pour des pécheurs
destinés à être sauvés mais qui subissent cependant des épreuves purificatrices avant d'accéder aux Demeures. Ce n'est pas encore vraiment le Purgatoire (qui n'a pas encore été inventé à l'époque de l'édification du tympan), ni même un lieu purgatoire, mais
plutôt un état de purgation, ou plus exactement de "restauration*". Si le concept
de "feu purgatoire" est bien attesté à
cette époque, et ce depuis au moins saint Augustin, le terme "Purgatoire" n'est pas encore employé comme substantif, ni comme un lieu à part, bien différencié des Tartares ou des Enfers. Pour éviter tout anachronisme, et tout contresens, il est préférable
de désigner cette région à l'aide du terme employé
sur le tympan lui-même, à savoir les Tartares. (4) Le Tartare des vivants, au registre mlédian, pourrait s'apparenter au futur premier degré du Purgatoire, celui de la vie terrestre. |
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La structure spatiale du diptyque, reflet d'une vision géographique de l'au-delà en plein processus d'élaboration, est en fait plus complexe. A cette structure spatiale qui définit des lieux bien distincts mais qui, nous le verrons, entretiennent des relations subtiles, se superpose une autre dimension, temporelle cette fois, qui entrichit l'organisation fertile du tympan. Tout est une histoire de temps ! Outre l'opposition latérale qui sépare les justes et les élus admis à la droite du Christ des éprouvés relégués à sa gauche, une seconde structure spatiale, latitudinale cette fois, se combine à la précédente : le tympan est organisé verticalement en trois registres superposés qui représentent chacun un temps correspondant à un lieu particulier. En somme une structure spatio-temporelle ternaire recouvre la division binaire : la base correspond au passé, l'étage central au présent et le sommet au furur. Ces trois registres superposés correspondent non seulement aux trois ères du temps, mais aussi à trois univers ou espaces géographiques : mondes souterrains, terrestres et célestes. UN MONDE CLOISONNÉ... DÉCLOISONNÉ Les
trois registres sont nettement compartimentés, isolés les uns des autres par les bandeaux de
pierre qui portent les inscriptions.
Voyons cela en détail :
LE TEMPS, FIL D'ARIANE DU TYMPAN |
Par exemple, nous verrons au chapitre 4 que la maison de Dieu est organisée à la manière d'un véritable calendrier eschatologique de l'Histoire avec une succession de personnages à la droite du Messie judicieusement choisis comme autant de jalons qui balisent l'histoire de la marche de
l’Église vers le Salut. . LE MOMENT DU TYMPAN : LA PAROUSIE Tout est donc une question de temps ! Selon les Écritures, le Messie doit revenir sur terre pour “juger
les vivants et les morts” à la fin des Temps. Les théologiens appellent ce second et dernier retour du Christ la Parousie*.(8) C'est précisément la scène représentée au tympan de Conques qui se déroule à cet instant : le Jugement dernier est imminent mais il n'est pas encore prononcé. Evitons la confusion fréquente dans le "timing" des Fins dernières : la parousie précède le Jugement dernier. Ce retour du Christ (que l'on pensait vraiment imminent avec la prise de Jérusalem dès la première croisade) est ici mis en scène à la façon d'un triomphe impérial romain, dans toute la partie centrale du tympan. Sous l’arc de triomphe du tympan, le Christ victorieux est escorté d’une cohorte d’anges : l'ange thuriféraire (porteur de l’encensoir), les anges céroféraires (porteurs de cierges), l'ange porteur de l’oriflamme de la victoire, l'ange qui brandit les armes du combat du Bien contre le mal, l'ange porteur du Livre de Vie. Il siège sur son trône impérial. Tous les signes codifiés de l’adventus (cérémonie du triomphe romain) sont présents. (Nous y reviendrons plus loin, lorsque nous évoquerons les sources antiques du tympan (cf. chapitre 8 § triomphe impérial) Toute personne qui se présente au parvis de Conques se trouve confrontée à un face à face avec le Christ qui pose
sur lui un regard perçant et lui adresse son salut : geste sémaphorique
de ses deux bras, sa dextre tournée vers le ciel, sa senestre inclinée
vers la terre, posture rarissime dans l'iconographie des tympans, mais capitale.
(en savoir plus sur la gestuelle du tympan)
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PAROUSIE OU JUGEMENT DERNIER ?
Bien qu'elle en soit le paragon, la représentation
de la Parousie à Conques ne constitue pas une exception
dans l’expression artistique romane.
Yves Christe, spécialiste de l'iconographie
médiévale, explique que la représentation de la parousie est assez courante :
« Certains
Jugements derniers ne sont en fait que des secondes venues du
Christ, comme au tympan de Beaulieu-sur-Dordogne.
D’après le Jugement de Munster, de celui de Saint-Gall et
de la Bible de Farfa, le second avènement du Christ selon saint
Mathieu n’est pas un phénomène isolé, mais
un motif standard ». (Yves Christe, Les Jugements derniers, Zodiaque, Coll. Les Formes
de la Nuit, T. 12, 2000, p. 147) La différence entre Parousie et Jugement dernier, c'est que dans le premier cas, comme à Conques, le Jugement n'est pas encore prononcé.
Ce professeur émérite d’Histoire
de l’Art à l’Université de Genève, ajoute
un peu plus loin :
« Le Jugement dernier n’est pas un thème majeur de l’art roman, surtout
dans le domaine de la sculpture monumentale. Ce n’est qu’au
tournant des années 1200 que le Jugement dernier a pris son essor ». (Yves Christe, ibidem, p. 199).
Il n'a pas
échappé à cet auteur que le cadre temporel du tympan
de Conques n'est pas fixé dans la lointaine fin des temps,
mais bien dans un présent immédiat : « On aura pourtant remarqué qu’ici [à Conques] est figuré un juste sauvé in extremis de la damnation ;
l’admonition (13) ne
vise pas un avenir lointain ; c’est dans l’immédiat
que le message doit opérer. » (Y. Christe, op. cit.
p. 183)
Définissant de son côté la notion de Jugement dernier dans l’art roman, Marcel Durliat écrit :
« Le Jugement dernier avec sa valeur dissuasive ne correspond pas à une généralisation
de la peur. Il prend place dans une prise de conscience globale du destin
de l’homme où la confiance dans le Salut tient
la plus grande place. L’homme roman espère dans la
miséricorde de Dieu et il connaît la gloire du Ressuscité.
Dans sa lutte contre Satan il sait qu’il peut compter sur l’appui
de la Vierge Marie, des saints et des anges du Ciel. » (Marcel Durliat, L’Art Roman, Mazenod p. 127)
C'est cet esprit qui prévaut à Conques, il faut le garder toujours en mémoire.
La remarque de Durliat est pertinente pour le tympan de Conques. En revanche, elle s'applique moins à certains Jugements derniers romans (et a fortiori gothiques) dont le schéma fulminatoire et comminatoire est si souvent appliqué ici à tort par certains de nos contemporains. A ce titre, la comparaison des tympans d’Autun et de Conques fait ressortir deux approches très différentes du Jugement : la première, empreinte de terreur ; la seconde, miséricordieuse et baignée de mansuétude. (14)
C’est pourquoi il nous semble que le tympan de Conques n’est pas à classer dans la catégorie des Jugement dernier, mais bien dans celle des Parousies. La reconnaissance de cette Parousie est une étape capitale pour éviter le contre-sens habituel sur le tympan de Conques. Si c'est une Parousie, alors ce n'est pas le Jugement dernier puisqu'il n'a pas encore eu lieu. Nous sommes juste avant, et donc le Tartare, royaume où les morts subissent des épreuves de purification en attendant ce jugement n'est pas l'enfer définitif. Ou plus exactement : il n'est pas que l'enfer.
La Parousie étant -selon saint Irénée- un “éternel présent”, le tympan ne représente-t-il pas aussi d'une certaine façon le moment présent ? Le Messie à son retour sur terre, ne trouve-t-il pas le monde en son état actuel ? Et ne pouvons-nous pas nous reconnaître nous-mêmes sur cette fresque de pierre, tels que nous sommes, nous autres, ici et maintenant ?(15)
Nous avons vu que le tympan nous raconte une histoire de temps et une histoire de lieux. Penchons-nous à présent sur le procès. Tous les acteurs sont en place : quel sera le verdict ? Condamnation ou Grâce* ?
Chapitre suivant : 2) Le Jugement
(1) Dieu règne en effet sur les deux mondes, et sa grâce pénètre jusqu'au fond du Tartare. C'est ce que disent les Psaumes (Ps 139 : 8) :
« Où irai-je loin de ton esprit.
où fuirai-je loin de ta face ?
Si j'escalade les cieux, tu es là,
qu'au shéol je me couche, te voici. »
Si le Diable - comme son nom l'indique (διαβάλλω) - est celui qui divise,
le Seigneur rassemble et multiplie les Grâces. (remonter)
(2) Selon la terminologie employée par l'évangéliste Jean : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père. » (Jn 14 : 2) (remonter)
(3) Saint Bernard, cité in Dictionnaire de théologie catholique, Paris, librairie Letouzey, 1931. Saint Bernard (1090 - 1153) s'exprimait ainsi dans la première moitié du XIIe s. Au siècle suivant, le terme de Tartare sera encore utilisé par Geoffroy de Poitiers (mort en 1231) dont Jacques Le Goff cite la description du Purgatoire : « Il y a diverses demeures dans le Purgatoire : les unes sont appelées lieux obscurs des ténèbres, d’autres main de l’enfer, d’autres gueule de lion, d’autres Tartare. » (J. Le Goff, La naissance du Purgatoire, Folio Histoire, éd. 2002 p. 239). A Conques, on remarquera d'ailleurs l'emploi du terme Tartares au pluriel (TARTARA). Voir la définition dans le lexique. (remonter)
(4) « Les plus anciennes apparition du terme purgatorium comme substantif semblent remonter à un texte d'Hildebert de Lavardin (Sermones Sanctis) et peut être à un sermon de saint Bernard. » J. Le Goff, La naissance du Purgatoire (XII-XIII siècle), Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 1975, 6, La mort au moyen âge, p. 8 (Texte consultable sur Persée). Hildebert (1056 - 1133), évêque de Tours aurait écrit ce sermon en 1133. (remonter)
(5) N.B. Le tympan est un miroir. Le Tartare qui figure à la gauche du Christ se trouve donc à notre droite. (remonter)
(6) Ce parti pris s'inscrit dans la droite ligne de la pensée de saint Augustin qui rapproche considérablement le temps de la pénitence et en ramène le début, hic et nunc, maintenant et ici-bas, au temps des vivants, après l'avoir avancé à la période située entre la mort et le Jugement dernier et non plus seulement après ce Jugement. (Cf. Jacques Le Goff, La naissance du Purgatoire, folio histoire, éd. 2002, p. 101) (remonter)
(7) Le Ciel n'est pour l'heure (d'après le temps terrestre) peuplé que par les anges baignés par les ondes du Père ; les Élus, pour l'instant placés dans les Demeures, n'accèderont semble-t-il au Ciel qu'à la fin des Temps, après le Jugement dernier. (remonter)
(8) La Parousie (du grec Παρουσία, présence) désigne le retour du Christ sur Terre à la fin des Temps. Conques n'en est pas l'unique représentation : elle est également le thème du tympan roman de Beaulieu-sur-Dordogne (Corrèze). Nous pourrions dire aussi que le thème central du tympan est la Révélation (Αποκάλυψις, apocalupsis en grec) : l’organisation spatiale du tympan énonce en effet la révélation du sens de l’Histoire du Salut, avec à la base la parole biblique, au-dessus l’action de l’Eglise militante en marche, au centre et au sommet le retour du Christ sur terre, le Dieu fait Homme devenu Sauveur. Au lendemain de la première croisade, au début du XIIe siècle, la Parousie semblait imminente. C'est à la lumière des croyances de la chrétienté romane, de sa foi, de ses conceptions éthiques et esthétiques que nous tâcherons d’expliquer les symboles de la statuaire, des gestes et de la construction dramatique de la composition. (remonter)
(9)
Yves Christe est effectivement le premier spécialiste à classer le tympan de Conques parmi la catégorie des Parousies. Dans son ouvrage de référence, “les
Jugements derniers”, ce professeur émérite à l'Université de Genève, décrit les représentations
du Christ dans une mandorle, entouré d’anges et surmonté
de sa croix glorieuse :
« Ce schéma sera régulièrement repris à
Conques et à Beaulieu…
C’est l’image du retour comprise comme l’Adventus,
comme un cortège triomphal où l’empereur est précédé
des officiers portant ses insignes et son trophée. C’est
sous cette forme que saint Jean Chrysostome dans un sermon célèbre,
cité partout au Moyen Age, avait décrit le second avènement
du Christ selon saint Mathieu. (Mt. 24 , 30-31)
» (Yves Christe, Les Jugements
Derniers, Zodiaque, La Pierre-Qui-Vire, coll. Les Formes de la nuit
n°12, 2000 p. 172)
La Parousie, c'est le dernier avènement du Christ à la fin des temps. La thèse
défendue dans ce site consiste à montrer que le tympan de
Conques devrait être considéré comme une représentation
de la Parousie et de l’histoire du Salut plutôt que
du Jugement dernier stricto sensu.
La représentation de la Parousie n'est pas un cas rare : c'est par exemple le thème d'une des fresques du
plafond du chœur de la cathédrale Sainte-Cécile d'Albi,
avec le Christ en gloire entouré d'un cortège d'anges et de chérubins, encadré
par le tétramorphe (début du XVIe siècle). (remonter)
(10) Nous avons ici une des plus ancienne, sinon la plus ancienne, des représentations iconographiques de l'Esprit Saint sous la forme d'ondulations. Le motif des ondes concentriques se retrouve également dans une illustration du Scivias par Hidegarde de Bingen (1153). (remonter)
(11) Ce geste, une paume tournée vers le ciel, l'autre vers le sol est souvent repris par les derviches tourneurs soufis qui eux aussi recueillent les Grâces du Ciel pour les déverser sur les Hommes. Lire aussi sur ce point l'analyse du geste. (remonter)
(12) « La parousie est un éternel présent » (saint irénée).Dans le rythme ternaire des 3 registres bien ordonnancés s'introduisent des cassures, des ouvertures, qui sont lourdes de sens. Ainsi, l'image du ciel ouvert peut être rapprochée de l'évangile selon saint Jean où dans un dialogue avec Nathanaël (celui-là qui doutait que quoi que ce soit de bon puisse sortir de Nazareth !), le Christ lui annonce : « Vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme ! » (Jn 1 : 57). C'est aussi la traduction graphique de la formule de l'Apocalypse du "tout puissant qui était, qui est et qui vient". (Ap 4 : 8). Pour les Chrétiens, le Christ, Homme-Dieu, appartient à la fois au temps terrestre, historique, humain et au temps céleste, temps que nous ne pouvons mesurer. Mais la rupture du linteau a aussi un sens tellurique : c'est l'image de la faille née du séisme survenu lors de la mort de Jésus, et qui, selon la tradition chrétienne, a permis au sang du christ d'atteindre et de sauver Adam, dont le crâne dit-on est enterré sous le Golgotha. Une image symbolique qui suggère que le Christ, par son sacrifice, est venu sauver tous les hommes, les fidèles de la nouvelle religion bien sûr, mais aussi les croyants de l'Ancien Testament, les âmes des Justes séjournant dans les Limbes, et même les pécheurs et en premier lieu Adam, le responsable de la faute originelle. Au même instant, alors que Jésus rendait l'âme, lors d'une théophanie spectaculaire le voile du Temple s'est déchiré dans toute sa hauteur : le Ciel s'ouvrait littéralement. De Bethléem à Jérusalem, Jésus de Nazareth n'a pas été envoyé par le Père pour juger les hommes, mais pour les sauver . (« Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver » Jn 12 : 47). Ce n'est qu'à la fin des temps qu' il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts nous dit le Credo. La dialectique de sa double nature, à la fois divine et humaine, mystère fondamental de l'Incarnation, se répercute au moment de la Parousie où le Messie concentre les forces pourtant distinctes de la Justice et de la Miséricorde divines, de la Loi et de la Grâce, de la chair et de l'Esprit, indissociablement liées en Lui. (remonter)
(13) Le bandeau (titulus) de la base du tympan porte l'admonition suivante : “Ô pécheurs, à moins que vous ne réformiez vos mœurs, sachez que vous subirez un redoutable jugement” (O PECCATORES TRANSMVTETIS NISI MORES IVDICIVM DVRVM VOBIS SCITOTE FVTVRVM) (remonter)
(14) Il serait intéressant de réfléchir sur les raisons de ces choix respectifs, selon les lieux, en terre occitane ou en France du nord, et selon les époques, romane ou gothique. En effet, tout se passe comme si les hommes du début du XIIe siècle cherchaient à exprimer une espérance, celle de la rédemption, et surtout à représenter le lieu topographique qui correspondrait à cette sensibilité, imaginée sans être encore clairement conceptualisée, (l’appelant, par héritage de l'Antiquité les Tartares), et que, à partir du dernier quart du siècle, lorsque la notion (puis le dogme) du Purgatoire émergera, ils se détournaient de ce topos, pour privilégier désormais dans la sculpture le thème du Jugement dernier, de l'Enfer et de sa crainte, dans le cadre d'une théologie de la peur. Disons à leur décharge, que la subtilité de la nuance purgatoire est beaucoup plus difficile à représenter que l'enfer et le paradis qui frappent, alors -et même encore aujourd'hui- l'imaginaire. Pourtant, c'est ce que le sculpteur de Conques avait magistralement réussi. Hélas, trop d'yeux contemporains, aveuglés par l'habitude ou le dogme, ne le voient pas. Ils restent frappés d'effroi par l'épouvante ressentie face à l'enfer de la Collégiale Santa Maria Assunta de san Gimignano. (fresque de la fin du XIVe s.) (remonter)
(15) Sur le plan sémiologique, on le comprendra au fil des pages, ce tympan n'est rien de moins qu'une extraordinaire représentation de la conception médiévale de notre être au monde. (remonter)