Symbolique de la Croix Glorieuse
Une grande croix portée par deux anges volants occupe la partie centrale du registre supérieur du tympan qui représente le Ciel et l’Éternité. L'analyse de sa sémantique et de son implantation dans l'espace révèle une puissance symbolique insoupçonnée et littéralement révolutionnaire. |
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Cette immense croix qui resplendit dans le Ciel ne renvoie pas uniquement à la crucifixion de Jésus sur le Golgotha. Elle n'est pas tant la potence du Calvaire, de la condamnation à mort et du sacrifice que l'emblème de la victoire du Christ lors de son retour à la fin des temps. Le moine théologien du XIIe s. Honorius d'Autun la compare à l’étendard de la victoire lors du triomphe des empereurs romains où elle rappelle le labarum de Constantin. (Cf. chapitre 8) UNE VISION OPTIMISTE : La liturgie de la fête de l’Exaltation de la Croix complète alors la dramaturgie du théâtre de pierre et de la prosodie des inscriptions.(4) Ce n’est plus tant la peur de l’enfer qui meut les fidèles, mais plutôt l’amour du Christ et l'Espérance du salut. Ainsi le sentiment collectif d'assister, voire de participer, à la "descente de la Jérusalem céleste sur cette terre" se conjugue au sentiment d'œuvrer à l'édification du Royaume de Dieu ici-bas. Le salut collectif se métamorphose en salut individuel. Une révolution s'opère au sein de l'homme médiéval avec l'émergence de la conscience individuelle. (5) |
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L'ESPACE-TEMPS TRANSCENDÉ PAR UNE CROIX DISRUPTIVE Dans cette mise en scène l'immense croix transcende tout l’édifice du tympan, et -avec une profonde symbolique- fait littéralement voler en éclat l'ordre et les cloisonnements établis en apparence dans l'organisation du tympan, qu'il s'agisse de sa structure binaire horizontale (distinguo éthique du bien et du mal) ou de l'agencement vertical des trois registres temporels superposés (l’étagement des 3 ères du temps). En effet, ses bras horizontaux établissent tout d'abord un lien entre les deux volets du diptyque, entre le paradis à droite du Christ et le Tartare à sa gauche. Ils bouleversent la lecture dichotomique voire manichéenne de la division spatiale entre le bien et le mal, le salut versus la damnation. A l’opposition statique et binaire de forces antithétiques, le panneau central de la croix introduit un troisième terme, celui du Christ rédempteur et instaure une dynamique au sein de ce qui est devenu un triptyque. A cet égard, le geste du Christ de la Parousie, oscillant sous l’axe de la Croix Glorieuse comme le fléau de la Balance « fait de la Croix ce point d’équilibre d’une balance où son corps fut le contrepoids de l’univers » (Emile Novis, alias Simone Weil, in "Le génie d'Oc et l'homme méditérranéen", Les Cahiers du Sud, Marseille, 1943) (cité par Pierre Séguret, Conques-Perse : Flammes et Lumières de l’Au-delà, 2007). L’axe vertical transperce quant à lui les trois étages de l'Ancien Testament, du Nouveau Testament et du Ciel éternel en abolissant notamment le linteau de séparation entre les registres médian et supérieur. Il relie le monde terrestre, celui du Dieu fait Homme, à l’univers céleste du Père. La croix relie aussi les temps passé, présent et futur. A bien des égards, cette croix joue le rôle d'une "échelle céleste, dressée de la terre vers le ciel et proposée à l'ascension du fidèle" : elle relie le Ciel à la Terre, le Père au Fils, les temps de l'Ancien Testament, du Nouveau et de l'Eternité. L'échelle céleste est une figure fréquente dans la spiritualité monastique du XIIe s. comme l'a remarquablement étudiée Christian Heck, spécialiste de l'histoire de l'art médiéval.(6) La rupture du linteau revêt aussi un sens tellurique : cette faille rappelle le séisme qui, à l'instant tragique où se déchirait le voile du Temple, a fendu la terre sous la croix plantée dit-on au-dessus du crâne d'Adam, permettant, symboliquement et littéralement, au sang du Christ versé pour le Salut des Hommes d'abreuver le chef du premier homme, assurant ainsi son Salut. LES INSTRUMENTS DE LA PASSION : LA CROIX, LA LANCE ET LES CLOUS
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(1) « Certains Jugements derniers ne sont que des Secondes Venues du Christ, comme au tympan de Beaulieu. » (Yves Christe, Les Jugements derniers, Zodiaque, 1999, p. 147) Plusieurs symboles se retrouvent dans les deux tympans, comme la Croix Glorieuse au-dessus du Christ, les instruments de la passion (les clous et la couronne d'épine dans l'un, la lance dans l'autre), les nuées célestes, les anges sonnant de la trompe, la résurrection des morts ouvrant leurs tombes. En savoir plus sur Beaulieu. (remonter) (3) Constantin, empereur récemment converti au christianisme, au sortir des grandes persécutions de Dioclétien, l'emporte sur son rival Maxence, à la bataille du pont Milvius, aux portes de Rome, en 312, réunifiant ainsi l'empire. Selon Eusèbe de Césarée, une croix, formée de la superposition des deux premières lettres de Christos (Χριστός), le chi (X) et le rhô (P), serait apparue dans le ciel et, la nuit suivante, Jésus serait apparu en songe à Constantin, pour lui annoncer la victoire : « Par ce signe, tu vaincras ». Depuis, Constantin porte ce chrisme sur son étendard, le labarum. Notons qu'un chrisme figure au bas du tympan, au cœur du soleil pascal. Enfin, la superposition géométrique de la croix glorieuse des deux diagonales qui se croisent sur la poitrine du Christ dessine encore une sorte de chrisme. Voir l'illustration (remonter) (4) A l'occasion de la fête
de "l'exaltation de la Sainte Croix", saint Fortunat, évêque
de Poitiers, compose vers l’an 600 le « vexillia regis
» : (5) « En ouvrant les écluses de la
grâce », selon l’expression d’André
Vauchez, l’Église passe alors du concept d’un Christ extérieur
à celui d’un Christ présent à l’intérieur
de la conscience. « L’humanité s’est
réconciliée avec elle-même par le service de Dieu » (André Vauchez, La Spiritualité du Moyen-âge
occidental, Seuil). (6) Christian Heck, L'échelle céleste. Une histoire de la quête du ciel, Champs Flammarion, Paris, 1997. (remonter) (7) La première croisade (1096-1099) a relancé la dévotion pour la Sainte Lance. En 1098, Pierre Barthélémy, moine provençal qui accompagne Raymond de Saint-Gilles, Comte de Toulouse, découvre à Antioche cette relique de la Passion, guidé par les visions que lui inspire saint André. (remonter) |
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