LA DRAMATURGIE
Le tympan peut se lire comme une véritable scénographie théâtrale. Le jeu des protagonistes était soutenu par le commentaire oral des moines que l'on imagine donner voix aux personnages. De ce point de vue, le drame liturgique qui se noue tire ses racines du théâtre antique. Dans les deux cas il s'agit d'une cérémonie sacrée dont l'enjeu est semblable : la destinée tragique des hommes chez les Grecs, le combat du Bien contre le Mal aboutissant à la question du salut pour la chrétienté. Jacques Le Goff a montré que la liturgie a remplacé le théâtre antique, notamment à l'époque de la renaissance romane* du XIIe siècle. Dans les offices religieux, par exemple dans la Cançon de Santa Fe, et un peu plus tard dans les mystères pascals joués au parvis des églises, le jeu théâtral est bien présent.
Un véritable drame eschatologique* se joue sous nos yeux : un Jugement va être prononcé et tous les acteurs
du procès sont en place.
Véritable opéra, il met en scène plusieurst tragédiens : autour du Juge, (le Christ Roi-Juge "ivdex REX”), se tiennent l'Accusateur (Satan) et ses témoins à charge (les démons), les défenseurs (sainte Foy et Marie), les anges assesseurs (l'ange qui tient le Livre de Vie) et le greffier (l'archange saint Michel).
Les protagonistes du tribunal |
Le procès est public. Outre le pèlerin parvenu au parvis, des anges y assistent. En effet, quatorze “anges curieux” sont sculptés sur
l'archivolte. Ils sont curieux de connaître
enfin le verdict du jugement (Cf. Première
épître de Pierre, 1 : 12). Ne nous
méprenons pas, ces anges ne sont pas des indiscrets ; leur rôle est important : ils enroulent avec convoitise le firmament, qui « disparaît comme un livre qu'on roule » (Apocalypse, 6 : 14) (1) pour nous permettre d'assister à
la Révélation.
Comme au théâtre, ils lèvent le rideau, pour
lever le voile sur la scène qui va se dérouler sous
nos yeux. Ils observent avec curiosité l'annonce du Jugement.
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Les anges curieux |
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A côté du Christ, un ange présente un livre ouvert où est gravée la sentence : "Le Livre de Vie est scellé". C'est littéralement le titulus de la cérémonie du triomphe. Tout y est consigné (toutes les actions des morts et des vivants en vue du Jugement, et les noms de ceux qui seront sauvés. Cf. Apocalypse 3 : 5 et 20 : 12) (voir illustration) (2) ; mais si, en grande partie, les jeux sont faits, ltout n'est pas consommé et les sept sceaux de l'Apocalypse ne sont pas encore brisés : tout peut advenir. Quelle sera la Révélation ? |
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Désormais, tous les acteurs sont en place : Juge, accusateurs diaboliques, avocats intercesseurs, anges greffiers et bien sûr les prévenus, l'humanité qui sera répartie entre élus et éprouvés... La scène
s'ouvre sur le monde. Le drame liturgique du Salut va commencer. |
UN JUGEMENT PARTICULIER
L'audience se
déroule sous nos yeux : c'est bien un Jugement qui se tient
sous les pieds du Christ.(3) Nous avons vu dans l'introduction qu'il s'agit du jugement particulier* d'une âme à l'article de la mort, plutôt que du Jugement dernier, définitif.
Lors de ce premier procès individuel, les âmes justes vont directement au paradis, celles qui sont irrémédiablement mauvaises vont en enfer, mais celles qui ne sont ni tout à fait bonnes ni tout à fait mauvaises (c'est à dire l'immense majorité des cas) doivent subir un processus provisoire et temporaire de purification, de restauration dont les principes se dessinent aux XIIe - XIIIe siècles, et que l'on appelera bientôt le purgatoire. A la fin des temps, au jour du Jugement dernier, corps et âmes de tous seront enfin réunis, et il n'y aura que deux verdicts définitifs cette fois : le paradis ou l'enfer, et ce pour l'éternité.
En fait, jouant sur la polysémie, les deux jugements sont présents à Conques :
- au sens propre, la scène de la pesée de l'âme d'un défunt (psychostasie) représente le Jugement particulier* d'un défunt, pris comme exemple parmi d'autres. Ce
jugement au quotidien pourrait être le nôtre, aujourd'hui même ! La délibération voit s'affronter l'archange Gabriel et le Malin tricheur car l' audience est instruite à charge et à décharge
et comporte un débat contradictoire qui tourne souvent à
la dispute entre anges et démons, comme le note Le Goff (4). Ce procès préliminaire devant être confirmé
lors du jugement dernier, les peines prononcées pour les fautes rédimables sont provisoires. Plusieurs signes
indiquent qu'elles peuvent être temporaires.
-au sens figuré, au-delà de ce jugement, c'est
le Jugement dernier, celui de l'humanité toute entière, qui se profile : le juge suprême vient d'apparaître ; il entre en scène et l'audience est annoncée. C'est le sens des références à l'Apocalypse (les anges curieux, les anges sonneurs de trompe, les versets de saint Matthieu [5]...). Oui, mais la sentence n'est pas encore prononcée !
LE
VERDICT
Observons ce Jugement premier : quelle en sera la sentence ?
Acquittement ou condamnation ? Damnation ou Grâce* ? Quel critère
l'emportera : la Loi, ou la Foi ?
Regardons bien...
Une psychostasie miséricordieuse : dans ce combat, les
croix de la foi et de la Grâce l'emportent sur les péchés de l'âme,
malgré la vaine supercherie du diable
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LA PESÉE PARADOXALE
Les deux plateaux de la balance de la psychostasie (pesée de l'âme)
portent des figures gravées peu visibles
depuis le parvis, mais connues des initiés (ce qui
suggère un commentaire oral du tympan par
un clerc animant une liturgie dramatique, aujourd'hui
comme hier).
Du côté de l'ange, la coupelle que, vue du parvis, l'on pourrait croire vide, ne contient que deux
croix discrètes qui symbolisent la foi du défunt, mais aussi le sacrifice du Christ pour le Salut du monde et la grâce*
divine.(5)
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En contre-poids, à l'autre bout du fléau, du côté du démon, la coupelle contient l'âme
jugée.(6) Celle-ci est
figurée par le visage du défunt et ses fautes, sont représentées sous forme de flammes du remords. (7)
Cette dernière coupelle semble visuellement pleine et plus lourde que la précédente,
et pourtant la balance penchera de l'autre côté
La foi (ou la grâce) l'emporte sur les fautes.
Cette âme est acquittée ! (Ce qui ne veut pas dire forcément que son salut sera immédiat.)
Toujours est-il qu'elle bénéficie d'une mansuétude qui n'est pas sans rappeler
la parabole des ouvriers de la onzième heure (cf. Matthieu, 20 : 1-16) ou l'aphorisme de l'épître de Jacques : « la miséricorde se rit du jugement » (Jc 2 : 13). |

Le visage du défunt léché par les flammes dans la coupelle du mal |
Le paradoxe est d'autant plus criant
que le démon triche ostensiblement en appuyant du doigt sur son plateau
pour tenter de rétablir l’ordre logique du poids des
péchés, qui devrait faire pencher le fléau
de son côté !
Mais il n’en sera pas ainsi, car aux yeux de la Justice divine,
la foi du défunt et les grâces* compensent largement
les faiblesses de l'âme jugée, et ce malgrè la supercherie du diable. Le diable tricheur est à son tour dupé !
Ici, la victoire sur le diable n’est pas différée
à la fin des Temps. Elle est acquise dès maintenant,
au moment de la mort.
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La dispute entre l'ange et le Malin : une lutte pour le contrôle de l'âme
du défunt
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Suivons le parcours de l'âme du défunt
après son jugement... |
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L'âme descend par une
trappe jusqu'aux portes du Tartare*.
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Elle
choit aux pieds du diable qui incarne Charon. Brandissant sa massue (en forme de calice par dérision blasphématoire ?), il enfourne
les défunts dans la gueule du monstre qui garde l'entrée du royaume des morts, à l'instar de Cerbère. (8)
Oui, mais ce n'est pas la seule issue possible !
Derrière Charon, la cloison qui sépare
le sas des Tartares* de la porte des Demeures* n'est pas totalement hermétique.
Ici l'octroi de la miséricorde divine se réitère et un ange sauve objectivement une nouvelle âme des griffes de Charon.
Sans doute cet ange triche un peu, lui aussi, en chapardant au nez et à la
barbe de Charon l'âme d'un défunt ! C'est le zèle
dont parle J. Le Goff.
Au dire d’un théologien de l’époque, quand
bien même l’ange se trompait dans son choix, saint Pierre
ne le lui reprocherait jamais de l’avoir fait en faveur d’un
condamné aux épreuves du Tartare*. (9)
Ici, l'ange psychopompe guidant l'élu qu'il soustrait au
démon se retourne et fait face à Charon qui lui-même
se retourne, floué, furieux mais
impuissant face à ce tour de passe-passe.
On dirait bien que cet ange s'approprie l'aphorisme du Talmud : « Celui qui sauve une seule vie, sauve l'humanité entière. » |

Face à Charon, l'ange passeur. Survolez les détails
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Parcours d'une âme lors du Jugement premier |
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Ici, une âme passe du Tartare aux Demeures
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Et c'est ensuite l'accueil au paradis.
Les phylactères qui encadrent la partie
supérieure de la mandorle du Christ font allusion à l'Evangile
de Matthieu à propos du Jugement dernier*
: « Venez les Bénis de mon Père ; possédez
le royaume préparé pour vous depuis l'origine du monde » ; et en regard : « Éloignez-vous de moi, Maudits…
». Cette citation, également présente sur le tympan du Jugement dernier de la basilique de Saint-Denis, laisse augurer d'un jugement sévère,
d’une rigoureuse application de la Loi, au vu des œuvres, des actes des pécheurs.
Pourtant, le geste du Christ signifie tout autre chose, et la sentence du Roi-Juge peut se deviner par une ligne géométrique fondamentale.
LA DIAGONALE
DE LA GRÂCE
A la différence de Satan, le Christ ne pointe pas l'index vengeur
vers les réprouvés (ou plus exactement les éprouvés).
Tout au contraire, il ouvre largement la paume de ses mains : de la droite,
il recueille les grâces* venues du Père,
et de la gauche, il les déverse sur ceux qui en ont le plus besoin,
les pécheurs du Tartare* qu'il est venu sauver, selon sa déclaration :
« Je ne suis pas venu pour juger, mais pour sauver ». (Jn 12 : 47)
Sa main ne repousse personne, contrairement à ce qu'écrit Mérimée (10) ; elle symbolise la Miséricorde. Toute l'iconographie du tympan est sous-tendue par la théologie paulinienne du Salut exposée par exemple dans l'épître à Tite : « Le jour où apparurent la bonté de Dieu et son amour pour les hommes, il ne s'est pas préoccupé des œuvres que nous avions pu accomplir, mais poussé par sa seule miséricorde, il nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation en l'Esprit Saint. Et cet Esprit, il l'a répandu sur nous à profusion par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, justifiés* par la du Christ, nous obtenions l'héritage de la vie éternelle. » (Ti 3 : 4-7)
Le tympan de Conques en est l'exacte illustration. (Régénération, Justification*, Esprit-Saint, Miséricorde : tous ces processus sont explicitement représentés au tympan comme nous le montrerons tout à l'heure. Toutefois, nous noterons également que la rétractation du pouce apporte une certaine restriction dans la distribution des grâces. (Lire à ce propos la page consacrée à la notion de Salut)
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La diagonale du Juge : les mains du Christ reçoivent les Grâces venues du
Père
et les déversent sur les hommes
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La
construction géométrique de la “diagonale
de la Grâce” renforce la gestuelle qui exprime clairement
le don de la Grâce*.
En traçant la droite qui passe par les deux mains du Christ, nous constatons
qu'elle prend son origine dans les ondes verticales tombant du Ciel, et qu'elle
se termine pile sur la tête de l'homme “restauré*”. Selon la théologie de Hugues de Saint-Victor, sous les pieds
de Satan, un homme s’éveille,
se redresse, calme et étonné de se trouver là assis sur un lit de flammes qui éprouvent
mais ne le brûlent pas. C'est le feu métaphorique du jugement qui éclaire la conscience du pécheur.
Le Jugement n'est pas la condamnation du pêcheur
mais du péché. La justice du Messie, c'est la justification*
du pécheur, non pour ses (hypothétiques) bonnes
œuvres, mais par pur don gratuit de la Grâce*
de Dieu pour ceux qui ont eu foi en Lui. (11) Le tympan illustre en fin de compte le concept de justification par la foi qui fonde la théologie de saint Paul. « Dieu qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont Il nous a aimés, alors que nous étions morts par la suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ. C’est par la grâce que vous êtes sauvés ! » (Ephésiens 2 : 4-5) (en savoir plus sur les références pauliniennes du tympan). On peut également rapprocher cette diagonale du dialogue entre Jésus et les Pharisiens, lors du repas chez les pécheurs : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » (Mt 9 : 13) |
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La diagonale du Juge au “Tympan du Salut"
Par l'intermédiaire du Christ, la Grâce du Père pénètre jusqu'au fond du Tartare |
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L'homme restauré, qui s'éveille aux pieds de Satan. |
Tout compte fait, ce n'est pas tant un procès à charge, du moins pour ceux qui ont la foi. C'est ce qu'affirme Gérard de Champeaux, spécialiste des symboles : « A l'époque romane, le Jugement
n'est pas encore un procès, mais la révélation
d'une personne, le Christ transcendant, maître de la mort
et de la vie, sauveur de ceux qui ont cru. Il se montre serein,
sans sévérité ni faiblesse, le regard quelque
peu lointain, fixé sur les confins de la Rédemption.
Il est le réel, et les hommes situent par rapport à
lui leur destinée éternelle. Ils sont libres d'aller
se placer par leurs œuvres d'ici-bas, à sa droite ou
à sa gauche, pour l'éternité ».
(Gérard de Champeaux, Le Monde des Symboles,
Zodiaque, 1980). C'est certainement dans ce sens que les pèlerins du XIIe s. devaient entendre l'admonition finale : « Ô pécheurs, à moins que vous ne modifiez vos mœurs, sachez que le jugement vous sera rude ».
LE TRÔNE ET SON MARCHE-PIED
Le
Christ en majesté siège sur un trône. Car il est Roi, Juge et Grand prêtre. Nous avons là une illustration littérale de l'épître de Paul aux Hébreux : « Avançons-nous donc avec assurance vers le trône de la Grâce afin d'obtenir miséricorde et de trouver la grâce d'un secours opportun. » (Hé 4 : 16)
Les pieds du Christ reposent sur
un socle incliné vers le Tartare. Cet angle (que l'on retrouve
sur la branche inférieure de la croix orthodoxe, par référence au suppedaneum du crucifiement), évoque
la descente de Jésus au royaume des morts avant sa résurrection.
Il signifie que le Messie porte la rédemption jusqu'au fond des enfers. |
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Le suppedaneum : marchepied incliné de 10° aux pieds du Christ (référence à la planche de bois soutenant les pieds des crucifiés) |
LA SYMÉTRIE DES DIAGONALES
Comme le tympan suit des lois géométriques fondées sur la symétrie, il n'est pas étonnant qu'une seconde diagonale traverse la composition en sens inverse. Elle prend également sa source dans les ondes célestes, mais cette fois-ci au pied de l'ange qui sonne la trompe au-dessus du Tartare ; elle traverse le Livre de Vie, passe par la main gauche du Christ tournée vers la terre, pèse de tout son poids sur le bon plateau de la balance de la pesée des âmes et vient tout naturellement ouvrir la porte du paradis. Est-ce vraiment un hasard ?
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La seconde diagonale qui ouvre la porte du paradis
De même, est-il purement fortuit que les deux diagonales se croisent sur la main du Christ abaissée vers les Hommes ?
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LE
SECRET DE LA ROBE DE L'ANGE

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Dévoilons un autre indice qui confirme
la présomption de la miséricorde divine.
Une proclamation annonce en effet les prémices
du verdict que l'ange dansant à l'archivolte a deviné.
Mais c'est encore secret... (12)
Il faudra attendre l'invention du téléobjectif au
XXe s. pour révéler que ce que l'on croyait
être une simple décoration au bas de la robe de l'ange
à l'olifant qui survole le Tartare, était en fait
une énigmatique inscription arabe écrite en caractères
coufiques : al youm
ce qui pourrait se lire “al arayoum” (aujourd'hui la Félicité) ou plus exactement “al hamda” (إن الحمد) ce qui signifie “Gloria”, Gloire [à Dieu], formule islamique traditionnelle de louange à Dieu.13)
Cette allégresse proclamée par les anges n'est-elle pas annonciatrice d'une fin heureuse, clémente et miséricordieuse ? Ce cri n'est-il pas un alléluia, un "Hosanna" lancé au plus haut des cieux ?
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La présence d'une écriture en coufique
fleuri, calligraphie des soufis persans de l'an Mil souligne les relations suivies que l'abbaye de Conques entretenait
avec l'Orient et que le “Livre des Miracles” de sainte
Foy évoque, notamment à travers l'histoire de Jean
Ferré, Sarrasin converti.
Il est temps d'explorer les deux volets
latéraux du triptyque : les Demeures*
paradisiaques puis les Tartares*. (suite)
Chapitre
suivant : 3) Les Limbes de l'Ancien Testament
(1) Si l'Apocalypse n'est pas le thème du tympan, plusieurs éléments de la vision de Jean sont représentés et permettent de cadrer la scène représentée dans l'instant qui précède la Révélation de la fin des temps : les anges qui enroulent le firmament, les trompettes qui sonnent, la présence du soleil et de la lune, le Livre de Vie, et même les trois batraciens surgis lorsque le sixième ange verse sa coupe sur l'Euphrate, juste avant le grand affrontement d'Armageddon. (« Et je vis sortir de la bouche du dragon, et de la bouche de la bête, et de la bouche du faux prophète, trois esprits impurs, semblables à des grenouilles. Car ce sont des esprits de démons, qui font des prodiges, et qui vont vers les rois de toute la terre, afin de les rassembler pour le combat du grand jour du Dieu tout puissant. » Ap 16 : 13-14). En effet trois crapauds apparaissent au tympan : un premier sous les pieds de l'avare pendu, le deuxième près du chaudron infernal à l'extrémité inférieure droite du tympan et le troisième qui, dans un geste que nous expliquerons, embrasse sur la bouche le chasseur embroché. (voir une illustration du bestiaire) Le soleil et la lune renvoient aussi à Isaïe 60 : 20 (remonter)
(2) Nombreuses sont les références bibliques qui évoquent le Livre de Vie, ou Livre des Prédestinées, livre ouvert où sont inscrits tous les actes bons et mauvais des hommes : Ex 32 : 32-33 ; Ps 69 : 29 ; 139 : 16 ; Jr 17 : 1 ; Dn 7 : 10 ; Ml 3 : 16 ; Lc 10 : 20 ; Ap 20 : 12... Le sens de ce livre n'est pas éloigné de l'inscription apparue sur les murs du palais de Balthazar à Babylone : "Manè, Thecel, Pharès" (Daniel 5) : traduisible par Compté, Pesé, Divisé. Ici, comme pour le successeur de Nabuchodonosor, le temps est compté, les âmes sont pesées et elles seront triées. (Cf. Dn 5 : 25-28) (remonter)
(3) Rappelons que le christianisme distingue deux jugements : un premier jugement, le jugement particulier*, individuel, intervient au moment de la mort (l'âme, à l'instant de sa séparation du corps, est immédiatement jugée). A la fin des temps se tiendra enfin le Jugement dernier*, collectif, pour l'humanité toute entière, au moment de la résurrection des morts. (remonter)
(4)
On trouvera sous la plume de Jacques Le Goff, une définition du Jugement
particulier qui constitue un excellent résumé du tympan
de Conques :
“(le) jugement
futur, dernier, général, ne comporte que deux possibilités
: la vie ou la mort, la lumière ou le feu éternel. Le Purgatoire
va dépendre d'un verdict moins solennel, un jugement individuel aussitôt
après la mort que l'imagerie médiévale se représente
volontiers sous la forme d'une lutte pour l'âme du défunt entre
bons et mauvais anges, anges proprement dits et démons. Comme les âmes
du Purgatoire sont des âmes élues qui seront finalement sauvées,
elles relèvent des anges mais sont soumises à une procédure
judiciaire complexe. Elles peuvent en effet bénéficier d'une remise
de peine, d'une libération anticipée, non pour leur bonne conduite
personnelle, mais à cause d'interventions extérieures, les suffrages.
La durée de la peine dépend donc, en dehors de la miséricorde
de Dieu, symbolisée par le zèle des anges à arracher les
âmes aux démons, des mérites personnels du défunt
acquis pendant sa vie et des suffrages de l'Eglise suscités par les parents
et amis du défunt.” Jacques Le Goff, La
naissance du Purgatoire, Gallimard, folio Histoire, éd. 2002, p.
285.
La dispute des âmes des défunts entre les anges et les démons
est une image classique dans l'imaginaire médiéval, comme on la
retrouve dans la vision de Fursy, voyage imaginaire dans l'au-delà d'un
moine irlandais, racontée par Bède. Cf. Le Goff, ibid.
p 154. Voir également la rubrique consacrée à la notion du salut.
Par ailleurs, on trouvera à la rubrique F.A.Q. question n° 5 un résumé des arguments
qui arguent en faveur du Jugement Particulier. (remonter)
(5) Mt 24 : 29-31 et 25 : 31-41 (remonter)
(6) Plutôt qu'une pesée de l'âme qui correspondrait à un Jugement dernier, il s'agit en fait de la pesée des actes du défunt lors de son jugement indivuduel, où l'on fera le bilan des bonnes et mauvaises actions. (remonter)
(7) La présence
de visage humain dans la balance deviendra un thème classique, souvent
repris à l'époque gothique.
C’est ainsi, par exemple, qu’au Jugement dernier de Chartres, « on distingue dans le plateau deux têtes d’homme,
dont une exprime la tranquillité et l’autre la terreur »
(Yves Delaporte, Commentaire du Jugement dernier de Chartres). Cette
coïncidence justifie l’opinion d’Emile Mâle qui voyait dans le tympan de Conques l’origine des tympans gothiques de
l’Ile de France. On retrouve d'ailleurs dans les psychostasies*
des cathédrales de Paris ou d'Amiens, le même déséquilibre
en faveur du Salut.
Toutefois, contrairement par exemple à la représentation du portail
du Saint-Sauveur d'Amiens, le visage de l’homme de Conques n’exprime
pas la terreur du Jugement (voir l'illustration) ; il met simplement en exergue le mystère de la Grâce*
divine qui l’emporte sur le poids du mal.
A propos de la balance, du vide et du contrepoids, on est frappé par l'adéquation
des écrits de Simone Weil au sujet de l'art roman et du génie d'oc
: « [L’essence de l’inspiration occitanienne] resplendit
dans l’art roman. L’architecture […] n’a aucun souci
de la puissance ni de la force, mais uniquement de l’équilibre. […] L’église romane est suspendue comme une balance autour d’un point d’équilibre, un point d’équilibre
qui ne repose que sur le vide. […] C’est ce qu’il
faut pour enclore cette croix qui fut une balance où
le corps du christ fut le contrepoids de l’univers. » (Simone Weil, sous le pseudonyme d'Emile Novis, in “Le génie
d’oc”, Les cahiers du sud, 1943) (remonter)
(8) Nous verrons plus loin (cf. chapitre 8)
que les références à l'antiquité gréco-romaine
sont nombreuses dans ce tympan représentatif de la "Renaissance romane". C'est pourquoi nous nommons le passeur Charon : son visage ridé évoque un veillard hirsute et sa massue renvoie à la masse dont ce dernier (dénommé Charun) est muni dans la
mythologie étrusque, qui lui sert à assomer les morts rétifs. De même, nous
préférons appeler le monstre qui garde la porte du Tartare Cerbère plutôt que le Léviathan.(remonter)
(9) Jacques Le Goff explique que, quitte à commettre une erreur judiciaire, celle-ci se fait toujours au bénéfice du défunt, jamais à son détriment. Il évoque un autre défunt arraché des griffes du démon. Il s'agit de Dagobert, détourné des enfers par saint Denis en raison de la dévotion du roi des Francs envers le premier évêque de Paris, selon la Légende Dorée de Jacques de Voragine. cf. A la recherche du temps sacré, Jacques Le Goff, Perrin, coll. tempus, 2014, p. 79-80. (remonter)
(10) « Le Christ, drapé tout à fait à l'antique, ne manque pas de noblese : sa main droite se lève pour bébir, tandis que de la gauche, il repousse les damnés. » Prosper Mérimée, Notes d'un voyage en Auvergne, 1838, p. 181 (remonter)
(11) Législateur, illuminateur, le Christ est le Sauveur. « Le Rédempteur n'est donc plus un juge menaçant,
mais le Sauveur souffrant, la victime offerte à l’immolation
pour le Salut de l’humanité. » (Yves Christ, Les Jugements derniers, p. 18). Nous verrons plus loin qu'il existe une diagonale perpendiculaire,
dite diagonale de la foi. (remonter)
(12) On ne peut s'empêcher
de songer au verset de l'Evangile selon saint Luc à propos de la
lumière : « Car il n'y a rien de secret qui
ne deviendra manifeste, ni rien de tenu secret qui ne doive être
connu et venir au grand jour ». (Lc 8 : 17) (remonter)
(13) « Il s'agit d'une des formules
de glorification de Dieu, al hamda, c'est à dire “la
gloire”, employée ici en relation directe avec le thème
central du tympan. Cette traduction a été confirmée
par le département des langues et traductions de l'université
d'al Azhar au Caire. Une première lecture avait été
effectuée par Mme Madeleine Viré, de l'Institut des Hautes
Etudes Arabes de Tunis, qui y voyait le mot al youm, “la
félicité” (Cf. Procès-verbaux de la
Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron,
t. XXXVIII, 1954-58, p. 339.). [...] Le mot al hamda ("Gloire
à Dieu”) s'adapte si bien au thème du Jugement dernier, sur le tympan de Sainte-Foy de Conques, qu'il n'est plus
possible d'attribuer à cette inscription une simple valeur décorative.
Son auteur, “le Maître du tympan”, ou moins vraisemblablement
un membre de son équipe, avait pleinement conscience de ce qu'il
gravait au bas de la robe de l'ange. Venait-il de l'Espagne mozarabe ?
La question peut se poser. » Jean-François Faü, docteur en histoire médiévale, fin connaisseur de la langue arabe et Attaché linguistique à l'Ambassade
de France au Caire, “A propos de l'inscription en caractères
coufiques sur l'ange sonneur d'olifant au tympan de Sainte-Foy de Conques”,
in "Enfer et Paradis", Cahiers de Conques n°1, Centre Européen
d’Art et de Civilisation Médiévale, 1995, p. 67-70.
Cette mention cryptée détient, avec les autres inscriptions,
la clé d'interprétation du tympan du Salut, clé que
nous décodons dans la page intitulée “Sésame
du tympan”. Merci aux internautes
arabisants de nous apporter leurs lumières sur cette inscription,
sa traduction ou sa transcription. (remonter) Page
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