La "Foire Aux Questions"
(Petit résumé à l'usage des pédagogues, élèves et internautes curieux...)


1) Quel débat théologique sous-tend l'interprétation du tympan ? 10) Les 7 péchés capitaux sont-ils représentés au tympan ?
19) Peut-on établir un lien entre le tympan et les reliques conservées au trésor ?
2) Quel est le sujet du tympan de Conques ? 11) Est-il exact qu’un braconnier, un faux-monnayeur, un paresseux, un ivrogne sont représentés au tympan ? 20) Quelles sont les racines littéraires du tympan ?
3) Quelle est la différence entre enfer et purgatoire ? 12) Quelles sont les grandes lignes de la composition du tympan ? 21) Où peut-on lire un résumé des références argumentaires de cette re-lecture du tympan ?
4) Quels sont les indices qui montrent qu’il ne s’agit pas de l’enfer mais du Tartare ? 13) Qui sont les personnages représentés au tympan ?  22) Le tympan de Conques peut-il donner lieu à une interprétation dualiste, voire cathare ? 
5) Quelle différence entre le Jugement dernier et le jugement particulier (ou premier) ? 14) Le tympan contient une inscription en arabe. Les moines du XIIe s. en connaissaient-ils le sens ? 23) Quelle est la place du tympan dans l'histoire de l'art ?
6) Qu'est-ce qui permet d'affirmer que le tympan de Conques ne représente pas le Jugement dernier ? 15) Quand le tympan a-t-il été sculpté ?
24) Quelle est l'originalité du tympan dans la pensée théologique ?
7) Pourquoi alors de nombreuses sources parlent-elle de Jugement dernier et d'enfer ? 16) En quoi le tympan est-il révélateur de la renaissance romane* ? 25) Que représente le tympan de Perse ?

8) Quelle différence existe-t-il entre purgatoire et Tartare ?

Quels aspects de la société médiévale sont représentés ? 26) Quelle est la place de la femme au tympan de Conques ?
9) Quelle est la différence le Ciel, le paradis et les Demeures ? 18) Que disent les inscriptions gravées ? 27) Faut-il rire du tympan de Conques ?


1. Quel débat théologique sous-tend l'interprétation du tympan ?
La définition du thème précisément représenté à Conques est fondamentale. Deux hypothèses sont avancées : l’Enfer, antithèse du paradis d'une part ; un « Tartare » préfiguration du Purgatoire d'autre part. Autrement dit, s’agit-il d’un « Jugement dernier » tranché pour l'Eternité, ou d’un « Jugement particulier », prononcé pour le temps intermédiaire ?
La première hypothèse est la plus ancienne, et la plus couramment admise par les traditions laïques ou religieuses. La seconde, défendue par l’auteur, réclame un débat contradictoire qui n’a pas encore eu lieu pour trancher la question. Toutefois,  aucune argumentation n’est venue réfuter cette thèse.

Si, comme nous pensons que le tympan le suggère assez explicitement, certaines sphères des Tartares sont un lieu partiellement ouvert, d'où certains éprouvés peuvent sortir grâce à l'intercession des saints, de la Vierge Marie, et surtout par la surabondance des grâces du « Saint Sauveur » à qui la basilique est justement dédiée, nous sommes bien en présence d'un lieu purificateur, purgatoire, répondant à une condamnation temporelle et rédimable prononcée lors du Jugement particulier de tout un chacun, mais qui n’est qu’une sentence provisoire, dans l'attente du Jugement dernier de la fin des temps que le tympan annonce, mais qui n’est pas encore prononcé au moment de la Parousie.

A contrario, s' il s'agissait du Jugement dernier avec une damnation à l'Enfer éternel des pécheurs, le tympan afficherait alors une sacrée contradiction car on ne peut pas quitter ce qui est définitif ; nul damné ne saurait être soustrait des griffes de Lucifer ; l'intercession de la Vierge serait vaine ; et il n'y aurait nulle place pour la rédemption et la Grâce de Dieu au seuil de l'Eglise du Saint Sauveur. Lire la page consacrée au débat théologique. (remonter au choix des questions ou revenir à la page précédente)

2) Quel est le sujet du tympan de Conques ?
Le tympan de Conques représente le retour du Messie sur terre à la fin des temps (ce que les théologiens appellent la Parousie, moment où le Christ reviendra « dans la gloire pour juger les vivants et les morts »). Ce n'est pas à proprement parler un Jugement dernier, mais plutôt un "Jugement Particulier" ou premier Jugement. Autour de lui est représenté le monde dans son état présent :

- les vivants et leurs péchés à la gauche du Christ, dans les Tartares (qui ne doivent pas être confondus avec l'Enfer) ;
- mais aussi les âmes des élus, tous défunts, placés à sa droite dans ce que les théologiens appellent les « Demeures » paradisiaques et que l'on peut appeler paradis (à ne pas confondre avec le Ciel).
Le thème central du tympan est en fait celui du Salut, c'est-à-dire de la rédemption accordée par la miséricorde divine : en d’autres termes c’est la rémission des péchés, la Restauration des âmes qui leur permettra la résurrection et l'accès au Ciel, pour l'Eternité lors du Jugement dernier.
La scène cruciale de la balance, contraire à toute logique, est la clé du tympan : c'est le Jugement Particulier d'une âme à l'heure de sa mort, ce que nous appellerons le "Jugement Premier". Toute la partie placée à la droite du Christ retrace les étapes de l’Histoire du Salut, depuis l’Ancien Testament jusqu’au temps présent.
D’autres thèmes reviennent plusieurs fois : la foi, le sacrifice, le sacerdoce, la royauté.
Pour résumer, le tympan représente la conception du Salut telle que les moines Bénédictins du début du XIIe siècle en terre d'Aquitaine se la représentaient : le tympan de la basilique de Conques (dédicacée au Saint Sauveur et à sainte Foy) est en soi une vision bien spécifique de la doctrine chrétienne de la renaissance romane*. (remonter)

3) Quelle est la différence entre enfer et purgatoire ?
L’enfer est le lieu où les damnés seront plongés pour l’éternité après le Jugement dernier de la fin des temps. Il est donc pour l’instant pour ainsi dire vide, ou n’est peuplé que de démons.
Le Purgatoire, en tant que lieu désigné par le substantif "le Purgatoire" est un concept formulé officiellement vers 1270 (Cf. J. Le Goff), est le lieu où la plupart des défunts se trouvent, provisoirement, pour une durée variable, qui va de l’instant de leur mort jusqu’au Jugement dernier (dans le pire des cas). Alors, ils seront jugés définitivement et iront, soit au Ciel, soit en Enfer pour l'Eternité. Le terme purgatoire employé comme adjectif (par exemple le "feu purgatoire") est cepandant plus ancien et souvent employé au XIIe s.. Il est par exemple repris dans ce sens par saint Bernard de Clairvaux dans son 42e sermon (Cf. chap. 5) donc avant 1153.
Mais, quoi qu'il en soit, que font les âmes au Purgatoire ? Le tympan nous les montre, notamment dans le registre inférieur soumises au feu purgatoire qui les purifie. Elles sont tourmentées par les diables, en fonction de leurs fautes, mais sans qu’aucun signe de douleur physique ou de terreur ne soit perceptible. Condamnées (mais non damnées) lors de leur Jugement particulier, ses âmes « purgent » leur peine. Eclairées, mais non brûlées, par les flammes du Tartare, elles subissent un processus de « restauration » de leur âme, c'est à dire de purification qui vise à leur redonner le regard d’Adam d’avant le péché originel.
Le purgatoire est par essence momentané, transitoire : les « éprouvés » peuvent en sortir (plus ou moins rapidement), en fonction notamment des prières des vivants et des élus qui intercèdent pour eux auprès du Seigneur (c’est ce qu’on appelle les « suffrages »). En fait plusieurs processus contribuent au Salut : à la restauration, aux suffrages, viennent s’ajouter le Verbe, la Miséricorde divine et la foi. Tout ceci est bien visible au tympan. Consultez la note consacrée au débat théologique et le lexique. Sur la question de savoir s'il y a ou non des diables au purgatoire, oui répondent saint Bernard, Henri de saltrey et jacques Le Goff ! (en lire davantage) (remonter)


4) Quels sont les indices qui montrent qu’il ne s’agit pas de l’enfer mais du Tartare ?
- En premier lieu, le terme pluriel de Tartares (TARTARA) est inscrit en toutes lettres sur le tympan.
- Au registre inférieur, le Tartare des morts est peuplé de défunts et de démons qui les tourmentent mais les visages des éprouvés indiquent qu’ils ne subissent pas de souffrance atroce : baignés par des flammes qui les éclairent mais ne les brûlent pas ; ils restent impassibles, impavides, calmes, voire sereins parce qu’ils sont « restaurés », purifiés et non suppliciés, damnés pour l'Eternité.
- Contrairement à ce qui est souvent admis, la présence de démons n'est pas incompatible avec le concept de purgatoire. Au XIIe s. saint Bernard expliquait que le Père plein de bonté y soumettait les âmes des défunts "aux mains du tentateur, non pour que celui-ci les tue, mais pour qu'il les purifie ; non pour encourir sa colère, mais pour obtenir sa miséricorde ; non pour leur destruction, mais pour leur instruction." (Sermon XLII, 5).
- En outre le Tartare n’est pas clos : on voit très nettement l’âme d’un défunt qui, grâce à l’intervention d’un ange, est soustraite à la massue de Charon.
- Dans le registre médian, se trouvent les Vivants, les contemporains, dont les actes répréhensibles sont condamnés par l'Eglise (péchés de l'avoir, du pouvoir et du savoir) : l'usure, la simonie, la violence guerrière, l'argent, les hérésies, etc. On y retrouve des évêques, des empereurs, des antipapes, mais aussi des marchands et des moines. Ici, il n'y a ni flamme ni processus de restauration puisque le jugement particulier de ces vivants n'a pas encore eu lieu. Nous sommes sur terre, ici et maintenant et non pas aux Enfers.
- Parmi les vertus inscrites sur les banderoles tenues par les anges, a figuré peut-être la tempérance. Un de ses sens désigne la modération, la clémence du jugement qui prévoit des peines provisoires, éloignées de la sévérité d'une damnation éternelle.
- Enfin la Vierge Marie est représentée mains jointes tendues vers son fils et les ondes du père : elle prie, certainement pas pour les élus qui n’en ont pas besoin, mais bien pour les éprouvés du Tartare afin qu’ils obtiennent le Salut. (remonter)

5) Quelle différence entre le Jugement dernier et le jugement Particulier (ou Premier) ?
Le "Jugement dernier" est dans la doctrine catholique un jugement général, collectif et définitif de tous les humains, vivants et morts, à la fin des temps, après le retour du Messie. Sans appel, il ne connait que deux sentences : la résurrection dans la vie éternelle ou la damnation pour l’éternité.
Mais il est précédé par un autre jugement, individuel, qui a lieu à l’instant de la mort : c’est le "Jugement particulier" ou "premier". En fonction des mérites (et plus souvent des démérites) de tout mortel, le verdict distribue les âmes soit directement vers les Demeures angéliques, autrement dit le paradis, soit (sans doute dans la plupart des cas), vers le Tartare ou Purgatoire. Le séjour au Purgatoire n'est pas éternel : il correspond au temps nécessaire pour qu'une âme purge sa peine et soit « restaurée » ; dans le pire des cas, il peut se prolonger jusqu'à l’heure du Jugement dernier. Consultez également le lexique. (remonter)

6) Qu'est-ce qui permet d'affirmer que le tympan de Conques ne représente pas le Jugement dernier ?
On est frappé de l'humour avec lequel le sculpteur du tympan traite son sujet.
Prenons l'exemple de la pesée des âmes (la psychostasie). Dans cette scène l'ange qui tient le fléau de la balance négocie avec un diable vainement tricheur. Le plateau du côté de l'ange semble vide, l'autre lourd et plein, et paradoxalement, le fléau penche du bon côté. Qui plus est, le diable triche et appuie du doigt pour tenter d'inverser l'équilibre. Rien n'y fait ! Car le plateau qui pèse les mérites n'est pas tout à fait vide : il contient deux croix qui symbolisent la foi et la Grâce.
Mais il y a mieux : à la tricherie du diable, répond une ruse des anges ! Le sculpteur nous montre clairement l’âme d'un défunt destinée au Tartare, échapper à l'emprise de Charon, (appelons ainsi le démon chargé d’enfourner les âmes dans la gueule du Léviathan ou de Cerbère), littéralement happée par un ange qui lui fait traverser la cloison de séparation entre l’antre du Tartare et la porte du paradis. Dans les deux cas les entorses à la loi dans ce jugement particulier se font au profit du salut de l'âme. Cet humour, cet optimisme, ces tours de passe-passe sont rarement de mise dans les représentations du véritable Jugement dernier. On ne plaisante pas avec le Jugement dernier qui ne connaitra aucune échappatoire. Au jour du Jugement dernier, toute l'humanité sera jugée définitivement par Dieu : il y aura les Elus et les damnés pour l'Eternité. Mais ici, il est plutôt question d'espérance, de tempérance dans ce Jugement opéré par les anges : c'est une lutte entre les anges et les démons, où la ruse est admise. On triche, on subtilise des âmes, quitte à se tromper, comme si l'enjeu n'était pas définitif. Les âmes du Tartare de Conques (comme les âmes du Purgatoire) sont des Elus qui avant de pouvoir gagner les demeures paradisiaques sont soumis à des épreuves purificatrices et qui pourront, grâce aux suffrages des Saints, de l'Eglise, des vivants, dont l'intercession est représentée par les mains jointes de Marie, être libérés avant le Jugement dernier.
Par ailleurs le dernier vers du typam (Ô pécheurs, à moins que vous ne réformiez vos mœurs, sachez que vous subirez un redoutable jugement...) est une admonition qui invite à changer nos mœurs, maintenant. Le jour du Jugement dernier, il sera trop tard !
Enfin, pour quelle raison prierait la Vierge Marie si ce n’est pour soustraire des éprouvés aux tourments du Tartare ? Quel sens aurait un enfer éternel si on pouvait aussi aisément en sortir ?
Le tympan de Conques se différencie en tout point du tympan de la cathédrale d'Autun qui lui représente vraiment un Jugement dernier.
L’opposition entre ces deux tympans est révélatrice de la grande différence de traitement d’un thème commun, du fait du point de vue adopté et du moment chronologique fixé, celui du Jugement dernier en Bourgogne, et celui du Jugement particulier et de la Parousie en Rouergue : un enfer sans rémission d’un côté, la grâce d’un Tartare qui régénère de l’autre. Deux visions de l’au-delà qui correspondent à deux sensibilités chrétiennes très différentes.
C’est pourquoi le tympan de Conques n’est pas à classer dans la catégorie des Jugements derniers, mais dans celle des Parousies, thème représenté, comme le note Yves Christe, à Beaulieu sur Dordogne. Ce détail est d'une importance capitale pour ne pas comettre de contresens sur le temps du tympan. La Parousie annonce la fin des temps, mais elle précède le jugement dernier. Celui-ci n'a pas encore eu lieu. Et le royaume des morts est dans son attente : ce n'est pas encore l'Enfer définitif, éternel. Au lieu de l'appeler "tympan du Jugement dernier", on devrait plutôt le désigner sous le nom de "tympan du Salut", tympan de la Parousie voire tympan du "Jugement Particulier". (remonter) (retour)

7) Pourquoi alors de nombreuses sources parlent-elles de Jugement dernier et d’enfer ?
Depuis l’époque romantique, une vision sans nuance et quelque peu anachronique projette sur cinq siècles, de l’An Mil jusqu’aux sombres années du XVe siècle d’un gothique finissant, l’image stéréotypée d’un monde terrifié par la menace de l'Enfer.
Ce n’est qu'à la fin du XXe siècle que justice sera rendue à ce XIIe débutant, qui vit l’apogée de la civilisation romane, appelée à juste titre « Renaissance Romane ». C’est ainsi que, jusqu’à ces dernières décennies, on a projeté systématiquement sur le tympan les poncifs « Enfer et Paradis », hérités des terrifiantes visions dantesques, fondements d'une pastorale de la peur ; alors que le tympan de Conques témoigne au contraire d’une pastorale optimiste du Salut, fondée sur la joie.
Les concepts théologiques de miséricorde, de pardon, et de justification* par la grâce qui sont à la base de l’élaboration du projet monumental, coïncident avec le climat d’euphorie universelle qui suivit la libération du tombeau du Christ, en juillet 1099, par les premiers Croisés. On crut vraiment au retour imminent du Messie : le siècle s’ouvrait sur la Parousie.

Pour changer l’approche conventionnelle du passé, encore fallait-il que la recherche historique englobe les données de l’anthropologie, de la sociologie, de la sémiotique, voire du structuralisme, pour qu’un Le Goff par exemple, nous fasse découvrir « La naissance du Purgatoire », qu’un Dom Leclercq nous introduise au sein des écoles et de la mentalité monacale au début du XIIe siècle, que Louis Réau nous initie au jeu de la polysémie des figures et des préfigures, des correspondances entre les deux Testaments, et Henri de Lubac aux « quatre sens des Ecritures », que F. A. Yates explique l’usage de l’Ars Memoriae, et Jean Claude Schmitt la gestuelle, sans compter les photographes et leurs téléobjectifs, qui nous ont dévoilé le substrat des mentalités collectives, le caché, le non-dit sous le dit, l’invisible sous le visible.

Hélas, on ne bouleverse pas aisément des habitudes fondées sur le présupposé généralement admis de la représentation d’un jugement dernier. Pour le commentateur, le discours sur la dialectique Enfer/Paradis d'un Jugement dernier est plus simple, plus facile à faire passer que l'interprétation de la vision de la Parousie introduisant la subtile préfiguration du Purgatoire. Mais l’enfer est si commode, et il est si médiatique, voire délectable !

Cependant, cette vision simpliste qui se limite aux apparences (qui ne sont pourtant pas trompeuses), non seulement trahit le sens profond du tympan, mais aussi ruine son rôle pédagogique, pastoral qui ne fonctionne plus de nos jours. En effet, dans notre occident déchristianisé, l’enfer avec ses diables, ses tortures, ses flammes ne fait plus peur. La naïveté de ses représentations fait plutôt sourire nos contemporains et la contemplation des enfers, de ses démons agités infligeant des supplices variés suscite l’enthousiasme des touristes.
A notre avis, l’Eglise aurait tout à gagner à rompre avec l'habitude de répéter le discours traditionnel du châtiment éternel et donc à entretenir le contre-sens sur le thème du tympan pour, au contraire, mettre en lumière le véritable propos du tympan, celui du Salut, de la restauration du pécheur. Ce message porteur d’espoir aurait plus de chance d’être audible de nos jours. (remonter)

8) Quelle différence existe-t-il entre Purgatoire et Tartare ?
Les deux notions, renvoyant chacune à des époques bien distinctes, sont sommes toutes assez proches.
Les deux concepts sont, à Conques, pratiquement équivalents. Simplement, de l’Antiquité jusqu’au XIIe siècle, on désignait sous le terme antique de Tartare le séjour souterrain des morts. Le terme de Purgatoire va s’imposer de la fin du XIIe au XIIIe siècle, comme l’a montré Jacques Le Goff. Le Tartare de Conques se différencie cependant du Tartare virgilien, car il est le lieu de la restauration des âmes et non celui des supplices. Si le terme Tartara (Tartares) est inscrit au tympan, tel un titre, toute son iconographie se rapproche sensiblement de la définition chrétienne de Purgatoire : il en est une remarquable préfiguration. La différence essentielle concerne la présence des démons, logique dans le Tartare de l'épître de saint Pierre, mais décalée dans la définition officielle de l'Eglise moderne. Consultez également le lexique. (remonter)

9) Quelle est la différence le Ciel, le paradis et les Demeures ?
Demeures et paradis sont synonymes. Les Demeures, représentées ici à la droite du Christ, accueillent les élus dès leur jugement particulier. Parmi eux se trouvent aussi bien des saints (porteurs d’une auréole, comme saint Pierre, la Vierge, sainte Foy…) que des pécheurs sauvés par leur foi comme Charlemagne, Dadon le matricide ou plusieurs clercs.
On y retrouve aussi, dans ce qu’on appelle les Limbes, les patriarches de l’Ancien Testament, les Elus d'avant le baptême chrétien. Etant placés sous la protection des anges, les élus baignent dans la Joie et la Lumière jusqu’au Jugement dernier : c’est ce qu’on appelle le paradis. Mais ce n’est pas encore le Ciel, lieu et temps de l’Eternité, de l’après Jugement dernier, et qui est représenté tout au sommet du tympan, par des anges baignés des ondes du Père qui dansent car ils connaissent déjà la sentence, de toute éternité.
Le paradis est le symétrique du Tartare et l'un comme l'autre se vivent après la mort bien sûr, mais aussi, parfois, au cours de l'existence...
Consultez également le lexique. (remonter)

10) Les 7 péchés capitaux sont-ils représentés au tympan ?
Certains, mais pas tous. L’avarice, le mensonge, la luxure, le sont explicitement. L’orgueil peut être évoqué par le chevalier renversé, et l’envie par l’usurier pendu par les pieds, mais la présence des autres péchés est plus discutable. Il ne faudrait pas, par exemple, confondre processus de restauration et paresse... Sont plutôt représentés ici des péchés soit individuels, soit collectifs qui asservissent les humains. (remonter)


11) Est-il exact qu’un braconnier, un faux-monnayeur, un paresseux, un ivrogne sont représentés au Tartare ?
C'est ce que prétend une certaine vulgate... Pourtant nous n'y avons jamais vu ni paresseux se prélassant sous les pieds de Satan ni ivrogne vomissant. Non, bien loin de toute vulgarité, il est question au contraire d'un homme restauré et d'un usurier avide de gain. Quant au braconnier et au faux-monnayeur, tout est question de point de vue. Pour notre part, nous penchons pour le chasseur et le vrai monnayeur, ce qui est plus dérangeant sur le plan social. Certes, nous savons que grâce à la polysémie, plusieurs sens se cachent sous les représentations. Mais pour qu'elles soient plausibles, il faut au moins qu'elles soient conformes à l'esprit de l'époque qui les a créées et si possible étayées par les Ecritures, les pères de l'Eglise ou les travaux des théologiens.
Or nulle part il n'y est question de braconnier, de poivrot ou de faux-monnayeur. En revanche, des indices nous mettent sur la voie, comme la présence de l’inscription « CUNEUS » au revers du poinçon du frappeur de monnaie. Ce tympan est certes plein d'humour, mais il n'est pas grotesque. On peut deviner, dans l’inversion morale du sens originel des scènes, l’influence des perceptions folklorisantes des hommes du XIXe siècle fruit de l'évolution des mentalités du XIIIe au XVIIIe siècle. Quoi qu'il en soit, il est de nos jours plutôt tentant de régaler les visiteurs avec de croustillantes et folkloriques (mais consternantes) histoires d'ivrognes, de braconniers, de paresseux, de moines incultes, de même qu'il est plus vendeur de parler d'Enfer, de terreur et de Jugement dernier que de Tartare purificateur, de restauration, de Grâce et de Parousie. (remonter)

12) Quelles sont les grandes lignes de la composition du tympan ?
La structure générale du tympan est celle d’une maison organisée en 2 volets latéraux (les Demeures à la droite du Sauveur et le Tartare à sa gauche) et en 3 niveaux temporels (matérialisés par 3 registres : le passé de l’Ancien Testament et les morts en bas, le présent du temps de l’Eglise et les vivants au centre, le futur de l’éternité de l’au-delà au sommet. (voir chapitre 1er , la rubrique consacrée au langage du tympan et le diaporama) (remonter)

13) Quels sont les personnages représentés au tympan ?
Le tympan met en scène de nombreuses figures, parmi lesquelles on compte 124 personnages. On y trouve entre autres le Christ, Abraham, Isaac et Jacob, Melchisédech, Moïse, Aaron, Ezéchiel, Jérémie, Zacharie, Marie, Marie Madeleine, sainte Foy, saint Pierre, saint Antoine, saint Jérôme, l’ermite Dadon (le fondateur de l’abbaye), Charlemagne, son fils Louis le Pieux et son cousin Guillaume au court nez, les empereurs germaniques excommuniés Henri IV et son fils Henri V, l'antipape, l'évêque simoniaque, les hérétiques, un suicidaire, Satan, Mammon, Lilith et bien d’autres encore. Ces personnages se réparissent d'une part en trois catégories : 67 hommes (dont 11 femmes), 33 démons (dont la diablesse Lilith) et 23 anges, et d'autre part en trois lieux : 33 éprouvés aux Tartares, 34 élus dans les demeures paradisiaques, 4 anges au Ciel. On notera la proportion non négligeable de femmes élues (8/34) et leur rareté chez les éprouvés (3/33). Ce site nous présente ces 124 personnages, avec leur histoire et les sources bibliographiques qui permettent de les identifier. Retrouvez-les dans l'index ou utilisez les outils d'identification des personnages. (remonter)

14) Le tympan contient une inscription en arabe. Les moines du XIIe s. en connaissaient-ils le sens ?
Certainement ! Le téléobjectif a révélé la présence d’une inscription en langue arabe calligraphiée en caractères coufiques sur le bas de la robe d’un ange au sommet du tympan. Il y est écrit « al youm» ou «al hamda » (la gloire ou la félicité). L’abbaye de Conques entretenait au XIIe s. des relations avec le Proche Orient : elle possédait par exemple un prieuré sur les bords de l’Euphrate en Syrie.
Le Livre des Miracles de sainte Foy raconte l’histoire d’un Sarrasin syrien converti, fait prisonnier par ses compatriotes. Libéré miraculeusement par sainte Foy, il se fait moine et entreprend un voyage jusqu’à Conques. Il y avait donc ici, en Rouergue, des moines capables de lire et écrire l’arabe. La qualité des inscriptions qui figurent au tympan, toutes sous forme parfaite de vers léonins montre que ces moines étaient loin d’être des êtres incultes qui ignoraient la signification de ce qu’ils (re)produisaient ! Enfin, des sculpteurs mozarabes ont laissé plusieurs traces de leur passage sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle, comme par exemple à Saint-Antoine, dans le Gers. (remonter)

15) Quand le tympan a-t-il été sculpté ?
Voir la rubrique Datation. Aucun document d’archive ne nous permet de dater la commande et l’achèvement du tympan. La chronique de l’abbaye est muette sur ce point. La plupart des historiens s'accordent à estimer sa construction vers 1120 - 1130 (voire entre 1100 et 1140 dans la fourchette la plus large). C’est l’apogée de la « renaissance romane* » du début du XIIe s. Le tympan, très optimiste dans sa vision de la question du salut, a peut-être été commandé et conçu dans le climat d’Euphorie qui a suivi la prise de Jérusalem en 1099, lors de la première Croisade. Le début de l’érection du tympan pourrait se situer, selon Jacques Bousquet et Jean Claude Fau au cours des deux premières décennies du XIIe s. La fin de l’ouvrage ne fut atteinte qu’au cours de la quatrième décennie, après « l’an quarante » de funeste augure : les temps étaient bien changés.
Commencé dans la joie, le tympan, s'achèverait dans le désenchantement ; les faveurs allaient aux ordres nouveaux, cisterciens et templiers notamment ; en 1130 la papauté se scindait en deux clans, celui des partisans et des adversaires du Pape Anaclet II (Pierre Pierleoni) déclaré antipape au profit d'Innocent II ; la deuxième croisade prêchée par Bernard de Clairvaux en 1146 à Vézelay se terminait par un fiasco en 1148.
Dans ce contexte troublé, l’abbaye subit vraisemblablement une crise, comme le suggère une lacune de trente ans dans la succession des abbés, interrompue en 1125, après la mort de Boniface. Toujours est-il que le travail ne sera pas achevé : piédroits et trumeau ne sont peut-être pas mis en place. Aujourd'hui, le tympan qui porte les marques d'un déplacement non datable, est privé de son soubassement qui aurait été incorporé ailleurs dans l'église. Pourquoi ? Quand ? Mystère, mais le site tente une explication. Enfin, d'autres signes laissent supposer une réalisation plus tardive, telle la présence de l'arbalète frappée d'anathème en 1139 ou la facture de la sculpture qui annonce le style gothique. Enfin, la polychromie encore partiellement visible et qui ne montre pas de stratigraphie de couches successives, peut-être contemporaine de l'édification du tympan, révèle un détail inédit troublant : Charlemagne est vêtu de bleu, couleur céleste, mariale et inouïe pour un roi. Cela indiquerait-il une proximité chronologique avec la "canonisation" de Charlemagne en 1165 ? Au terme de nos travaux, il ne nous parait pas absurde d'avancer un achèvement tardif, dans les dernières décennies du XIIe s., dans un style pré-gothique.
Il n’en reste pas moins que malgré les tribulations de l’histoire, la Parousie du tympan du Jugement Particulier de Conques porte le témoignage d’une culture qui connut un moment d’éternité. Voir la page Datation et la brève consacrée à cette question à la page de la chronique de l'abbaye. (remonter)

16) Dans quelle mesure le tympan est-il le reflet de la renaissance* romane ?

Le tympan est une remarquable mise en œuvre des principes pédagogiques de la scolastique  (ars memoriæ, quadruple sens de l’écriture, polysémie des figures…). Il porte en outre, par sa façon si généreuse et optimiste de traiter la question du Salut, la marque du climat d’optimisme des premières décennies du XIIe s. Une atmosphère heureuse en émane entre autres par les inscriptions « Spes » et « Gaudia », Espérance et Liesses, qui manifestent non seulement une attente et une joie spirituelle, mais aussi incarnent l'ambiance même de cette époque où les troubadours occitans inventent l’art d’aimer, « lo Joc e Joy d’Amor » (le Jeu et les Joies de l’Amour). Cet humanisme gagne le clergé régulier et les Bénédictins de Conques aux confins du duché d’Aquitaine qui possèdent des biens dans le comté de Toulouse, deux provinces où fleurissent les « Cours d’Amour » et le culte de la Dame. A cette époque, les moines, amoureux des belles lettres et des beaux-arts, dansent en leur nef la carole, en l’honneur de leur sainte « jonglaressa », sainte Foy la facétieuse jongleuse de Dieu, en s’accompagnant des chants en langue populaire de la « Cançon de Santa Fe ».

Hélas, probablement dans la décennie qui suivit la construction du tympan, et à coup sûr dès la seconde moitié du XIIe siècle, la renaissance romane occitane s'achève brutalement. Un drame s'est noué.
Plusieurs éléments politiques, culturels et religieux ont contribué à ce déclin, notamment la réforme cistercienne, œuvre de Bernard de Clairvaux, opposé dans le domaine artistique par exemple à toute représentation imagée capable de détourner l’attention du fidèle sur autre chose que sa méditation.
Il y aura aussi au début du XIIIe s. la croisade contre les Albigeois (1208- 1244) ayant pour conséquence, parmi d'autres, la domination du comté de Toulouse par les seigneurs du Nord.
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17) Quels aspects de la société médiévale sont représentés ?
L’inventaire des personnages et des inscriptions fournit une description de l’état de la société en ce premier tiers du XIIe siècle.
Nous sommes à la période féodale, caractérisée par une société théocratique, hiérarchisée, en mutation économique, sociale, politique et religieuse. Les classes qui la composent, les catégories de puissances qui la structurent, (celles de l’avoir, du pouvoir et du savoir), trouvent ici leur représentation.
Dans ce monde, l’autorité suprême émane de Dieu : le Christ dans sa mandorle règne sur tous les mondes terrestres et célestes. De là découle la notion de l’Etat de droit divin, et par conséquent l’autorité sacerdotale bénéficie de la préséance de l’autel sur le trône. A Conques, si Charlemagne porte la couronne et un sceptre surmonté du globe terrestre, insignes de son autorité temporelle, sa position fléchie, en arrière de l’abbé qui le conduit par la main, montre bien que le sacre octroyé par le pape, (successeur de saint Pierre qui apparait détenant la clef), implique la soumission de l’autorité civile au pouvoir spirituel.
Toutefois, ce principe issu de la tradition rabbinique (bien figurée au tympan par le sceptre de Jacob, la couronne du Roi-prêtre Melchisédech et l’investiture sacerdotale d’Aaron), comporte une ambiguïté : le sacre accordant de ce fait, une nature spirituelle au souverain « Lieutenant de Dieu », tandis que réciproquement l’évêque exerce une juridiction seigneuriale impliquée dans le système féodal.
Cet état de chose entraînera un conflit majeur entre L’Eglise et les souverains. Ce sera la Réforme grégorienne d’une part, qui vise à soustraire le Pape et le clergé au contrôle de leur élection par le pouvoir civil, et d’autre part, sa conséquence immédiate, la fameuse Querelle des Investitures, guerre armée et séculaire entre les deux puissances. Les empereurs du Saint Empire Romain Germanique excommuniés, Henri IV et Henri V, dénudés, découronnés, livrés au Tartare, nous reportent à cet affrontement violent qui ne connut une trêve signée à Worms, qu’en l’an 1122.

La société féodale bâtie sur le principe de la suzeraineté, de la vassalité et du pariage, répartit la population en trois catégories de fonctions : celle des clercs, des militaires, et des travailleurs, tous présents et très reconnaissables au tympan.
Les hommes d’Eglise (orantes), sont représentés par saint Pierre, premier évêque Rome, prédécesseur de tous les Papes, par plusieurs abbés crossés, mais aussi des ermites et des moines.
Les gens de guerre (bellatores) apparaissent sous les traits du chevalier à la cotte de mailles et des hommes d’armes équipés de masse et d’arbalète, en tête desquels, on trouve souvent les rois couronnés.
Enfin, les artisans et commerçants (laboratores) tels le drapier (tisserand et marchand) homme lige du prêteur à gage, banquier et usurier, intimement liés entre eux, le pied de l’un prenant son appui sur à la poitrine de l’autre.
Mais, au tympan, le concepteur de l’œuvre ajoute une quatrième catégorie de pouvoir, qui se manifeste clairement au XIIe siècle, celui de l’argent. Son rôle correspond au développement de la vie urbaine, du commerce (par exemple, les foires de Champagne) et à la généralisation du contrat écrit. au-dessus de l’usurier avide de la bourse, figure le vrai maître de ce monde, le détenteur du poinçon « cuneus », le Maître de la Monnaie.

Le serment vassalique qui institue la hiérarchie verticale, s’accompagne d’alliances horizontales entre pairs, d’homme à homme, manifestée par la pratique du pariage, où deux personnes se lient d’un contrat d’amitié. Le jumelage des personnages de l’Ancien Testament assis deux par deux sous la même arcade, la main de Moïse sur l’épaule d’Aaron, le même calice tenu par Melchisédech et Zacharie, n’en seraient-ils pas la préfigure ? Et son inverse symétrique n'est-il pas suggéré par le pariage associant l'homme à l'animal (homme-cheval, homme-lapin, homme-crapaud, home-serpent...) ?

Cependant, ce monde compartimenté, ordonné et soumis aux lois divines, n’est pas irénique. La guerre y sévit à l’état endémique.
L’inscription du mot « PAX » témoigne du souci majeur de l’Eglise d’établir un état de grâce, non seulement spirituel, mais aussi temporel. Trêve et Paix de Dieu tentent d'endiguer ce fléau.
C‘est ici que le culte de sainte Foy joue un rôle majeur. Sur la relique de la sainte on fait jurer serment de respecter la paix. En Rouergue en particulier, l’Eglise instaure à cette époque la pratique des « Communs de Paix » pour régler les différents -tentative d’organisation de la paix, qu’officialisera le pape Alexandre III en 1170. (Frédéric de Gournay, Le Rouergue au tournant de l’an Mil, de l'ordre carolingien à l'ordre féodal (IXe-XIIe siècle), Editions Méridiennes, Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, CNRS, Toulouse le Mirail, 2004, p 383)
Sainte Foy par ses miracles, contribue à l’instauration d’un code pénal qui remplacera la loi du talion. En un temps où la pendaison est coutumière (deux pendus figurent au tympan), l’Eglise s’efforce de lui substituer une justice fondée sur un code pénal qui fixe les clauses du verdict, que rendra un jury de « Boni Homines ». Tel est le sens de l’apologue du Pendu-dépendu par le miracle de sainte Foy, tel que le rapporte Bernard d’Angers dans son célèbre « Livre des miracles de sainte Foy ».
Autant l’Eglise affirme haut et fort son autorité dogmatique, autant fleurissent les hérésies.
On en compte au moins sept stigmatisées au tympan. En premier, le clerc « nicolaïte », qui ne respecte pas la règle de la chasteté. Viennent ensuite, le baiser au crapaud du chasseur, rite stadingien, suivi du suicidaire, avec au-dessus d’eux, le « Vaudois » marchand drapier colporteur d’hérésie ; enfin, plus haut dans la hiérarchie du péché spirituel, l’hérésiarque et son livre, peut-être l’adversaire mahométan de la Croisade en Terre Sainte et de la Reconquista espagnole.
L’exaltation de la Croix glorieuse au sommet de la composition, ainsi que la mise en exergue du calice, répondent à la contestation de l’eucharistie par Bérenger de Tours, et au refus du signe de la croix par Pierre de Bruys. Il n’est pas jusqu’à la « guerre des moines et des évêques » qui ne transparaisse en filigrane à travers l’évêque prosterné devant le diable, crosse brisée.

Le style réaliste des figures va jusqu’à respecter la mode vestimentaire des diverses époques, du « paludamentum » romain dont est revêtu le Christ, jusqu’aux courtes tuniques carolingiennes de Dadon et de Charlemagne.

En résumé, nous pouvons dire que l’histoire marque de son sceau la conception de l’ouvrage, fondée sur la théologie chrétienne de l’incarnation du Salut dans les œuvres et le temps : le tympan de Conques, « speculum mundi », Miroir du Monde. (remonter)

18) Que disent les inscriptions gravées ?
Ce sont essentiellement des vers latins classiques, appelés vers léonins, qui commentent les scènes illustrées, un peu comme les phylactères d'une bande dessinée. Pour comprendre leur versification et leur traduction, consulter la page des inscriptions. (remonter)

19) Peut-on établir un lien entre le tympan et les reliques conservées au trésor ?

Dans sa thèse sur le « Rouergue au premier Moyen Age », Jacques Bousquet note une corrélation entre les ateliers d’orfèvrerie et ceux des tailleurs de pierre du tympan.
Quatre reliquaires en témoignent :
- Le « A » de Charlemagne, confectionné trois siècles après la mort de l’empereur, au moment même où toute sa famille est élevée au tympan ;
- Le petit calice posé sous le trépied de Marie et La grande croix et dans le prestigieux reliquaire dit de « Pascal II », (destiné à recevoir la relique insigne de la Vraie Croix rapportée de la croisade), font pendant au calice et à la croix glorieuse exhaussée au sommet du tympan ;
- Dans le même ordre d’idées, le trône sacerdotal, attribut principal de la Majesté de sainte Foy, vénérée en tant que relique, est également mis en exergue dans l’écoinçon de sainte Foy ;
- Enfin, les deux émaux du « reliquaire d’albâtre » mettant en vis-à-vis Sancta Fides et Sancta Maria, trouvent leur réplique dédoublée au tympan, sainte Foy et Marie de Magdala y étant par deux fois statufiées. (remonter)

20) Quelles sont les racines littéraires du tympan ?
La construction du tympan est imprégnée d’un substrat littéraire dont on ne saurait négliger le rôle.
Dotée comme toutes les abbayes bénédictines d’un scriptorium, Conques entretient un rapport étroit avec le livre, comme en témoigne le célèbre Livre des Miracles de sainte Foy. Le tympan porte cette marque, ne serait ce que par la maîtrise de la versification latine des inscriptions, rédigés en pur vers léonins.
On relève en outre, une influence littéraire antique dans le choix du terme de Tartare, qui renvoie à l’Enéide de Virgile, avec Charon, Cerbère et Tisiphone.
La naissance de la chanson de geste et des épopées chevaleresques se détecte dans la saga des carolingiens, comme dans les jeux de mots et de lettres présents dans les inscriptions.
Les scènes du tympan rmettent en scène un jeu dramatique à la façon des « Mystères » médiévaux qui vont se développer au siècle suivant.
Le livre, support de cette culture, est par sept fois représenté au tympan :
- par deux évangéliaires, l’un aux mains de Marie de Magdala, l’autre porté par le moine accompagnant Charlemagne, protecteur des écoles ;
- par le « Livre de Vie » ("Liber Vitae") présenté par l’ange
- enfin par deux livres aux mains des hérétiques (d'aucuns ont cru y voir parmi eux un Coran, dont la première traduction en latin, sur ordre de l'abbé de Cluny Pierre le Vénérable, remonte au XIIe s.).
Enfin, nous sommes dans le contexte du développement des écoles monacales, dont notamment celle de Conques, où se forge une innovation pédagogique : la lecture muette du livre supplante le dire ancien des marmonnements des moines « ruminant les Ecritures », et favorise ainsi le temps de la réflexion personnelle.

La principale source théologique sur laquelle les Bénédictins du XIIe siècle semblent s'être appuyés pour traiter d'un sujet aussi délicat que la Parousie et le Salut pourrait bien avoir été puisée dans les deux épîtres de Pierre, apôtre auquel la basilique doit une de ses premières dédicaces. Un page est consacrée aux correspondances entre le tympan et ces épîtres. (remonter)

21) Où peut-on lire un résumé des références argumentaires de cette re-lecture du tympan ?
La thèse, certes à l'heure actuelle originale, mais sans doute plus conforme à l'esprit initial des commanditaires du tympan, repose sur la confrontation de quelques ouvrages fondamentaux, dont la naissance du Purgatoire de J. Le Goff et la Raison des gestes dans l'occident médiéval de J.C. Schmitt, avec le tympan. On trouvera une synthèse des références qui étayent l'argumentation à la page du "Sésame du tympan". On pourra également se reporter à la rubrique "histoire de l'art' et aux publications de l'auteur mentionnée dans la bibliographie. (remonter)

22) Le tympan de Conques, avec sa lutte du diable et l’ange, du Bien et du Mal, peut-il donner lieu à une interprétation dualiste, voire cathare ?
Certainement pas, car si la composition repose sur un diptyque, elle unit intrinsèquement le Bien et le Mal. Dans les Demeures paradisiaques des bienheureux nous trouvons non seulement des saints et des martyrs, mais aussi d’authentiques pécheurs, tels saint Pierre le renégat, Dadon le matricide et Charlemagne l’intempérant !
De l’autre côté, dans le Tartare, nous voyons une condition humaine soumise à la pesanteur des sens et de la société, mais rédimée par la grâce divine et les suffrages des saints. Entre parfaits et imparfaits s’établit une communion.
Non seulement le tympan ne supporte pas une interprétation catharisante ; mais en fait, il s’oppose à cette doctrine hérétique dans la mesure où il décrit un monde de l’entre deux, où le bien et le mal constituent l’unité même de la nature humaine. Le Salut est accordé « corps et âme », puisque chair et esprit sont intimement liés, sans dichotomie. Le cathare croit à l’enfer, mais certainement pas au Purgatoire qui vient nuancer l’alternative manichéenne de l’enfer ou le paradis éternels.
De plus, l’hérésie cathare n’est vraiment prise en compte par l’Eglise que dans la deuxième partie du XIIe siècle. En revanche, le tympan, réalisé dans la première moitié du siècle s’en prend aux hérésies de son temps, celles de Bérenger de Tours et de Pierre de Bruys notamment, contempteurs de la Croix, de l’Eucharistie, et des suffrages pour les morts. (voir la rubrique hérésie) (remonter)

23) Quelle est la place du tympan dans l'histoire de l'art ?
voir la page consacrée à ce thème en cliquant ici

24) Quelle est l'originalité du tympan dans la pensée théologique ?

Conques apporte une réponse originale à la question du Salut (celle de savoir si les pécheurs peuvent accéder au paradis ou s’ils seront damnés pour l’éternité en Enfer) en optant pour la thèse du salut par la Foi, en exposant de façon très explicite une vision rédemptrice, miséricordieuse de Dieu et de sa justice, fondée essentiellement sur la Grâce*, la Justification* du pécheur, sa Restauration*, le recours aux suffrages* et enfin, la géniale intuition du Purgatoire*. Cette vision optimiste, généreuse, humaniste si révélatrice de la renaissance romane* occitane, constitue une véritable "pastorale de l'espérance" aux antipodes d'une pastorale de la peur sur laquelle se fondent nombre de jugements derniers de l'iconographie médiévale. Elle s'appuie sur la pensée théologique de Hugues de Saint-Victor et partage le même élan du joy d'amor, jeu et joie d'amour qui anime les troubadours. On sait depuis Spinoza qu'une religion fondée sur la peur asservit les individus davantage qu'elle ne les libère. Malgré cela certains courants catholiques, surtout intégristes, restent attachés à une théologie fondée sur la crainte de l'enfer.
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25) Que représente le tympan de Perse ?
Ce tympan représente plusieurs événements survenus lors de la mort du Christ : c'est une représentation assez rare du Christ descendus aux enfers, de sa Résurrection d'entre les morts et de la première effusion de l'Esprit sur les dix apôtres rassemblés autour de Marie au soir de Pâques. Ce tympan roman, bien antérieur à celui de conques et d'une esthétique qui pourrait ravir les maîtres de la peinture contemporaine cubiste ou abstraite, a été victime d'une bévue nourrie de psittacisme qui le classe de façon erronée dans la catégorie des Pentecôtes. Voir la rubrique qui lui est consacrée. (remonter)


26) Quelle est la place de la femme au tympan de Conques ?
Les femmes sont présentes au tympan. On notera surtout un déséquilibre manifeste de leur présence entre le côté paradisiaque et celui du Tartare. On compte huit femmes au paradis, dont deux, sainte Foy et Marie de Magdala sont représentées chacune deux fois. Cette dernière est accompagnée, au registre de l'Ancien Testament, de trois autres Saintes Femmes. Enfin, la Vierge Marie est représentée au registre médian, au plus près de son fils. Du côté des Tartares, la gent féminine est beaucoup plus rare : une seule femme, poitrine dénudée est clairement visible, au côté d'un clerc, figuration du prêtre nicolaïte qui ne respecte pas le célibat. Parmi la trentaine de démons, diables et monstres sataniques, on ne compte qu'une seule créature féminine : Lilith, démone et première femme d'Adam : c'est elle qui enlace le drapier. La représentation de deux autres femmes est moins explicite : on peut songer à Tisiphone, la Furie, juchée à califourchon sur les épaules d'un clerc qu'elle fouette avec des serpents torves. Enfin, le ventre plein du personnage plongé dans le chaudron infernal, au plus profond et obscur des Tartares, dans le coin inférieur droit, pourrait évoquer l'avortement.
Ce qu'il nous semble important de signaler, c'est la place assignée aux femmes dans la frise chronologique de la marche de l'Eglise : trois femmes marquent en effet le début et la fin de cette colonne. A l'origine de la cohorte, le jumelage de Marie de Magdala et de sainte Foy symbolise le fondement même de l'Eglise, fondée sur la Résurrection et la Foi. A l'autre extrémité, la Vierge Marie dont les mains jointes reçoivent les ondes christiques, intercède pour les pécheurs. Elle marque l'aboutissement de l'œuvre ecclésiale dont la femme assure l'introduction et la finalité. Un enseignement à méditer pour notre temps. (Cf. le § consacré à la cause de la femme)
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27) Faut-il rire du tympan ?
Le tympan n'est pas exempt d'humour, et le commentaire du tympan par quelque moine ou gide facétieux provoque souvent l'hilarité du public. Mais le sujet est grave et le rire était un interdit monacal. Nous conscrons une brève note à cette question que nous vous invitons à consulter. (remonter)

 

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Consulter aussi la synthèse, le dossier de presse, la rubrique histoire de l'art, la bibliographie en complément des 10 pages consacrées au tympan.

 

 

Dernière mise à jour : 24/02/2021

 

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