Les vertus théologales
LE
TOIT VERTUEUX DES ANGES Si on lit
parfaitement les vertus gravées -sur les banderoles s'abaissant vers la droite- CARITAS (amour) et <H>UMILITAS (humilité), (2)
l’examen des inscriptions portées sur les deux autres banderoles ascendantes n'est pas facile : Prosper Mérimée avait semble-t-il déchiffré
sans hésitation sur le rouleau de gauche aujourd'hui totalement illisible
les vertus FIDES et SPES (Foi et Espérance) mais aussi sur le troisième CONSTANCIA (3). Ces deux banderoles semblent avoir été effacées :
les lettres gravées ont disparu et il reste des traces de lettres
peintes en surimpression. Le moulage de la Cité de l'architecture
à Paris semble montrer qu'il ne s'agirait pas de CONSTANCIA, ni, comme nous avons pu le penser un temps, de TEMPERANTIA. |
Pourtant la Constance formait avec la Foi, l'Espérance et la Charité un tout homogène qui pourrait parfaitement être l'illustration des deux épîtres de Paul aux Thessaloniciens. Ces deux missives concernent l'arrivée du "Jour du Seigneur", c'est à dire la Parousie, le retour du Christ sur terre à la fin des temps, autrement dit, le sujet du tympan. Dans la première, Paul écrit : « Alors, ne nous endormons pas, mais restons éveillés et sobres. Au contraire de ceux qui dorment ou de ceux qui s'enivrent la nuit, nous qui sommes du jour, soyons sobres, et revêtons la cuirasse de la foi et de la charité, avec le casque de l'Espérance du Salut » (1 Th 5 : 5-8). Ce que veut dire Paul, c'est que les Chrétiens, doivent veiller pour attendre le Sauveur qui peut venir à tout moment, en pleine nuit, tel un voleur, et rester vigilants, bien vivants, et non pas comme des morts (les endormis) ou des insensés (les enivrés). Pour celà, ils doivent porter les armes d'un combat spirituel armés de la foi, de l'amour et de l'espérance. Et il ajoute un argument dans la logique même du propos illustré au tympan : « Dieu ne nous a pas destinés à attirer sa colère, mais pour entrer en possession du salut par notre Seigneur Jésus Christ qui est mort pour nous afin que, éveillés ou endormis, nous vivions unis à lui. » (1 Th 5 : 9-10). Dans la seconde épître, l'apôtre des Gentils réitère sa confiance envers les Thessaloniciens : « Nous avons d'ailleurs, dans le Seigneur, toute confiance en vous : ce que nous vous prescrivons, vous le faites et vous continuerez de le faire. Que le Seigneur dirige vos cœurs vers l'amour de Dieu et la constance du Christ. » (2 Th 3 : 4-5). Foi, Charité, Espérance, Constance : tout est là ! L'épigraphiste belge François De Coster, auquel nous devons beaucoup pour l'analyse des inscriptions, poursuit des recherches pour déchiffrer cette inscription qui demeure énigmatique (4) |
Foi & Espérance : les bases du Purgatoire
Jacques Le Goff, examinant
les fondements du Purgatoire dans son chapitre intitulé "épure
scolastique du Purgatoire : Albert le Grand", cite le « Commentaire
des Sentences de Pierre Lombard » (6), de Saint
Albert, théologien du XIIIe s. (7) qui répondait
que ce « fondement est bien, au fond, la Foi (Fides), qui fait subsister en nous l’Espérance (Spes). Les matériaux donnent la substance
à l’édifice, mais les parois c’est l’Espérance tendue vers les choses éternelles, et au faîte il y a l’amour (Caritas), qui est le lieu de la perfection »
(Albert le Grand, Livre IV des Commentaires des Sentences de Pierre Lombard,
article 3, de la distinction XXI). En le médiéviste de conclure
: « la réflexion sur le Purgatoire se greffe sur une théologie
des vertus cardinales » (J. Le Goff, La naissance du
Purgatoire, Folio Histoire, 1981, p. 349). Un siècle plus tôt,
tous ces fondements théoriques du Purgatoire étaient gravés
dans la pierre au portail de Conques. Pour de plus amples informations sur ces
fondements, voir la page intitulée "Sésame
du tympan".
Ainsi le Purgatoire n'est pas seulement décrit
au Tartare, mais il est également proclamé par le Ciel : nous
remarquons que les anges porteurs des banderoles sont placés au-dessus
des ondes célestes.
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(1) L'orientation et la disposition en bâtière des banderoles n'est pas due au hasard : elle fait sens, comme le souligne Jean Claude Schmitt dans son étude sur La raison des gestes dans l’occident médiéval : « souvent le phylactère lui-même, par sa forme, sa direction "fait geste" comme un prolongement du personnage qui parle en direction de celui qui l’écoute. » p. 258. Ici, le rôle protecteur de ces vertus est clairement signifié. (remonter)
(2) Comment ne pas faire le rapprochement entre l'ensemble de la structure
du tympan et le verset des Psaumes : « Je m'avançais
sous le toit du Très-Grand, vers la maison de Dieu, parmi les cris de
joie, l'action de grâces, la rumeur de la fête »
(Ps 42 : 5) ?
Trois termes gravés du côté de la maison de Dieu font référence
à cette joie : « GAUDIA, GAUDENTES et LAETUS » : ("SIC DATUR ELECTIS AD CAELI GAUDIA VECTIS" ; "SIC
STANT GAUDENTES" ; "SANCTORUM COESTUS STANT CHRISTO IUDICE LAETUS" cf. page des inscriptions.)
D’après
Dom Jean Leclercq (L’Amour des lettres et le désir de
Dieu, Cerf, 1957), amour (caritas), humilité (humilitas) et joie (gaudia) sont intimement liées. On peut résumer sa démonstration de la façon suivante :
La conscience de la misère humaine engendre l’humilité,
le détachement du monde, le sentiment du péché, la crainte
et le désir de Dieu. C’est la « componction ».
Cette componction du cœur, de l’âme, tend toujours
à devenir une componction d’amour (Caritas), de dilection,
de contemplation. Creusant le désir, elle conduit à la sublimation,
qui est une forme de la possession de Dieu, conciliant crainte et amour. L’amour
alors unifie l’âme, la retourne, la libère, la dilate, et
élève l’homme au-dessus de lui-même.
Avec l’humilité grandit le désir de celui qui peut seul
combler notre vide intérieur : la componction induit la nostalgie du ciel,
pleurs de regret et pleurs de joie (Gaudia).
Ainsi, l’amour éclaire l’intelligence, la connaissance et
l’adhésion à l’Esprit. Alors, de l’amour (Caritas)
naît la joie (Gaudia). Pour les théologiens médiévaux Caritas est l'équivalent chrétien de l'agapè de l'antiquité grecque. (remonter)
(3) Les anges tiennent
des"banderoles qui portent le nom des vertus théologales : FIDES. SPES. CARITAS. CONSTANCIA. (sic) VMILITAS."
(P. Mérimée, Notes d'un voyage en Auvergne, Paris, 1838
p. 182) (Gallica)
« les mots FIDES, SPES, CONSTANCIA ont été
repeints à une époque relativement récente, et quoiqu'il
nous ait été impossible de lire ceux qui avaient été
gravés primitivement, nous ne pensons pas que ce soit les mêmes.
CARITAS et VMILITAS sont gravés dans la pierre. Les autres ont été
remplis d'une sorte de mastic propre à supporter la peinture. » Bouillet A. (abbé) Le Jugement dernier dans l'art
aux douze premiers siècles, Paris, Mersh (Notes d'art et d'archéologie),
1894, p. 41. La solidarité entre ces vertus est évoquée dans l'épître de Paul aux Romains à propos de la foi qui permet la justification des hommes : « Nous nous glorifions des tribulations, sachant bien que la tribulation conduit à la constance, la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l'espérance. Et l'espérance ne déçoit point, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs. » (Ro 5 : 3-5). (remonter)
(4) François De Coster, Pour une relecture des inscriptions du tympan de l'abbatiale de Conques, Etudes aveyronnaises 2010. Ses travaux de déchiffrage des banderoles effacées se poursuivent et de nouvelles hypothèses se dessinent, notamment en faveur de CONSPICIAT (verbe conspicere = contempler, considérer à la 3ème personne du singulier du subjonctif présent), ce qui pourrait remettre en cause l'hypothèse Fides Spes pour la première banderole. Nous en ferons état dès leur publication. Pour l'étude épigraphique, voir la page des inscriptions ; sur les hypothèses concernant la date de substitution des vertus, voir la chronique de l'abbaye. (remonter)
(5) « La Providence de Dieu, qui disposait l'homme en vue du Salut, tempère par la miséricorde la rigueur de sa justice. Dieu propose à l'homme des sacrements, si bien que le Diable est toujours vaincu par la Constance » Hugues de Saint-Victor, De sacramentis. (remonter)
(6) Pierre Lombard : théologien scolastique du XIIe s. (mort en 1160), il est contemporain d’Hugues de Saint-Victor et de Pierre Abélard. (remonter)
(7) Saint Albert le Grand : Docteur de l’Eglise, ce moine dominicain théologien et philosophe du XIIIe s. (mort en 1280) fut le maître de Thomas d’Aquin. (remonter)