Chapitre 8 : signes des temps et amour des lettres

EN DIRECT DU XIIe S.
Les bénédictins de l'époque romane voulaient faire comprendre que le Salut, comme la pénitence, s’accomplissent dans le temps présent. Aussi cette "Bible de pierre", véritable bande dessinée, porte les marques de l’actualité. Nous y lisons l'écho des évènements politiques majeurs, mais aussi celui des Institutions, des mœurs, du contexte social et économique, voire de la mode vestimentaire contemporaine. On y perçoit même le reflet de la culture profane et sacrée de l’époque.
Nous avons déjà souligné les références à la réforme grégorienne des années 1073-1085 (lutte contre les prêtres mariés, la simonie et l'Empereur), mais il y a d'autres marques du contexte politique.
C’est ainsi, par exemple que la montée au paradis de Charlemagne, correspond au souci des Capétiens de légitimer leur succession, tandis que la mise au Tartare des Empereurs Germaniques saliens Henri IV et Henri V, tous deux excommuniés, évoque la Querelle des Investitures voire leur éviction par la dynastie nouvelle des Hohenstaufen, avec l’élection de Conrad III comme roi des Romains en 1136. (Voir la question de la datation. En savoir plus sur l'implication de Conques dans cette succession dynastique).

L'élément le plus troublant a été révélé suite aux prélèvements que les Monuments Historiques ont fait analyser récemment afin de reconstituer la polychromie d'origine (voir chapitre suivant). On constate la coloration du manteau de Charlemagne en bleu, couleur inconcevable avant le XIIe siècle pour les rois, et couleur désormais rattachée au céleste et à la Vierge Marie (1). Cette exception est-elle à mettre en relation avec la canonisation de Charlemagne en 1165 par l'antipape Pascal III, à l'instigation du premier Hohenstaufen couronné empereur germanique, Frédéric "Barberousse", neveu de Conrad III ? Comme il semble bien que cette polychromie soit celle d'origine, cela pencherait en faveur d'une création tardive du tympan, peut-être durant le dernier quart du XIIe siècle, précisément à l'époque où le Purgatoire est inventé.
Ainsi, un tympan imaginé au début du XIIe s. comme un arc de triomphe célébrant une parousie imminente annoncée par la prise de Jérusalem, mais réalisé et achevé bien plus tard, peut-être après 1177 et la soumission de Barberousse au pape, deviendrait l'arc de triomphe d'une Eglise affirmant sa prééminence sur le pouvoir politique. Quoi qu'il en soit, ce tympan est comparable à un sceau qui scelle la suprématie du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel.


MARQUES DE LA FÉODALITÉ ET STRUCTURE TRIFONCTIONNELLE

Le jumelage du pouvoir spirituel avec le pouvoir temporel est justement représenté du côté des Elus par les trois tandems vertueux de Moïse et Aaron, des prêtres-rois Zacharie et Melchisédech, enfin de Charlemagne conduit par l’abbé. Il correspond au pacte d’amitié du « pariage » féodal. Il comporte bien entendu un corollaire démoniaque : l’appariement bestial de l’homme avec le cheval, le lièvre, le serpent ou le crapaud, au plus profond des Tartares.

Survolez l'image pour visualiser les détails. Lire un complément sur le bestiaire du Tartare

Le Chevalier est représenté avec sa cotte de maille et son cheval. Ayant failli à l’honneur chevaleresque, il chute dans le Tartare* où il rejoint les maudits de la nouvelle société marchande et financière, représentée par un drapier assis sur son coupon de tissus dévoré par le diable et qui prend pied sur le ventre de l’usurier.
Nous avons sous les yeux un instantané de la société féodale du XIIe siècle : les trois grandes fonctions sociales sont présentes au Tartare : des clercs (oratores), des chevaliers (bellatores) et des travailleurs (laboratores). Dans le Tartare des vivants, les ordres sont répartis : à gauche, les puissants, avec les empereurs et l'antipape, et à droite les artisans et commerçants (on voit poindre une nouvelle fonction, celle des negociatores). Le drapier et l'usurier représentent le négoce et la finance qui accompagnent la transformation d'une société qui s'urbanise et s'enrichit. mais on notera que les paysans, manants ou vilains (à l'exception du chasseur forban), sont absents de la fresque.
Les démons sont pour leur part outillés et utilisent toute sorte d'ustensiles et de procédés mécaniques : des tenailles, des cordes, une poulie, une potence, une fourche, un chaudron et bien sûr tout un arsenal (épées, francisque, poignard, lance, écu, arbalète, potence, massue, marteau de guerre et autres masses d'arme...). Le Tartare des vivants est représenté avec les outils du monde du travail (poinçon, creuset, mortier, broche...), les armes de guerre et les techniques de l'époque.

L'arsenal du tympan Francisque Fourche Poignard Tenailles Broche Glaive tordu Rets Marteau de guerre Lance Corde et poulie Potence et corde
L'arsenal et l'outillage du Tartare

UN DÉFILÉ DE MODE
Rien n'est laissé au hasard : chaque détail porte sa signification. Ainsi, les barbes frisées d'Abraham et de Melchisédech sont taillées à la mode assyrienne, marquant une différence archaïsante avec celle des autres personnages bibliques, comme Moïse ou Aaron plus modernes. Celle de saint Pierre est taillée court. Tous les clercs arborent naturellement une coupe au bol. Lilith porte de longues nattes que l'on dirait blondes. Les tenues vestimentaires enfin : l’artiste du XIIe siècle prend soin de draper le Christ à l’antique, de vêtir l’ermite Dadon à la mode du VIIIe siècle et Charlemagne en tunique à la mode carolingienne, sans oublier le détail de l’équipement du chevalier avec son armure (la longue chemise en cotte de mailles, le chef encapuchonné du « chapelier » ou aumusse maillée) typique de ce temps où l’armement vient de se perfectionner d’une arme aussi « déloyale et meurtrière » que l’arbalète. (lire également notre page sur le contexte de la fin du XIIe siècle)

La psychostasie Les plumes de saint Michel rappellent la plume de Maat


La barbe d'Abraham
La barbe d'Abraham bouclée à la mode assyrienne
la barbe de Melchisédech
La barbe de Melchisédech taillée à la mode assyrienne

Moïse & Aaron

Moïse et Aaron

Les tresses de Lilith
Les tresses de Lilith
Charlemagne à la mode carolingienne, mais en bleu
Le chevalier en cotte de mailles
Le chevalier en cotte de mailles
Charlemagne vêtu à la mode... carolingienne (révolutionnairement, son manteau légitimement pourpre est teinté de bleu !) (2)
 

 

 

Les armes nouvelles
Les armes nouvelles (Lire la note sur la condamnation de l'arbalète 3)

En dépit de ces marques de la modernité, l'œuvre imaginée par les Bénédictins rouergats du XIIe s. reste marquée par l'héritage de la culture de l'Antiquité. En voici quelques aspects :

LE TRIOMPHE IMPÉRIAL

Les clercs du XIIe siècle sont en effet pétris de culture latine : c'est pourquoi ils conçoivent -et représentenent- la parousie à la manière du triomphe romain. Citons comme exemple la description de la parousie par Honoré d'Autun, théologien érudit du XIIe s. originaire d'Augustoduna (Bavière) :

« De même que lorsque l'empereur pénètre dans une cité, sa couronne et les autres insignes du pouvoir sont portés devant lui de manière à ce que son “ adventus soit connu de tous, de même lorsque le Christ reviendra pour le jugement, des anges portant la croix le précèderont ». (Honorius Augustodunensis, cité par Yves Christe, Les Jugements derniers, Zodiaque, 2000, p. 195)

Nous avons devant nous une théophanie, somptueuse manifestation de la présence divine en direct. Ce retour du Christ vainqueur se manifeste dans tout l'apparat d'un triomphe impérial romain (selon la cérémonie antique de l'Adventus) :
en tête du cortège, voici venir le Christ Roi et Juge, ceint de la ceinture du magistrat suprême, vêtu du paludamentum (le manteau pourpre des empereurs), laissant apparaître son pallium (ornement sacerdotal en forme d'étole) mais aussi le flanc droit de sa poitrine nue dont on devine les côtes (4). Il trône sur un siège entouré d'étoiles et illuminé par un soleil nouveau chargé de fleurs et de palmes, surmonté des trophées de la victoire (la lance, les clous et la croix). Il est escorté de la procession de ses légions angéliques : un ange armé d'un glaive et d'un bouclier pour refouler les forces du mal ; un autre porteur de la Sainte Lance à laquelle est accroché un gonfalon, à la manière du vexillarius (porteur du vexillum ou étandard des armées romaines) ; un troisième ange présente le Livre de Vie, registre qui, de la Bible à l'Apocalypse, inscrit le nom de ceux qui auront la vie éternelle. Le Christ triomphant est encensé par l’ange thuriféraire (ange porteur de l'encensoir). A ses pieds, deux anges brandissent des cierges (les anges céroféraires qui éclairent le monde), tandis qu'au-dessus de la mandorle, deux anges déploient les banderoles reprenant ses paroles. Au Ciel, deux anges buccinateurs sonnent de la trompe. Au-dessus de tous, la grande Croix glorieuse est brandie tel un labarum. La mise en scène est parfaite : rien ne manque, jusqu'aux captifs, les démons vaincus et pécheurs plongés dans les Tartares, malmenés par les histrions. C'est bien sous la forme du triomphe qu'apparait le Christ pantocrator saluant le monde d'un geste impérial. (5)


L'AMOUR DES (BELLES) LETTRES ET LE DÉSIR DE DIEU
Selon son spécialiste, Jean Leclercq, la mentalité monacale se caractérise par « l’amour des livres et le désir de Dieu ». (6) Les troisième et quatrième Livres des Miracles de sainte Foy, qui constitue un document précieux pour éclairer l'Histoire des mœurs des XIe -XIIe siècles, mais également la Chronique de l’abbaye, le récit de la translation des reliques, les pièces liturgiques et bien sûr les inscriptions du tympan (dont 12 vers léonins) en sont les éloquents témoins.
L’œuvre sculptée ne doit pas être exclue de l’étude de la mentalité monacale, bien au contraire puisque l'œuvre de pierre concrétise un propos intellectuel. L’école monastique de l’abbaye de Conques n’écrira pas de traité de théologie, mais en donnera une image, donnant à la sensation esthétique le soin de véhiculer le message, la forme impliquant le fond. En ce sens, le tympan de la Parousie est un condensé de la doctrine du Salut, selon l’optique de l’époque.
Les formes et le style s’apparentent à la culture classique héritée de l’antiquité. Le Christ apparaît entouré d’anges porteurs d’enseignes où figure la liste des élus vainqueurs (Liber vitae) (voir une illustration) ; d’anges porteurs d’encensoirs, d’anges-soldats armés de glaive et d’écu, dans tous les apparats d’un triomphe impérial romain (l'adventus).
UN TARTARE VIRGILIEN
Le Tartare lui-même emprunte à Virgile non seulement son nom, mais surtout son iconographie, de Charon à Cerbère, en passant par Tisiphone : on a l'impression de suivre Enée aux enfers. Tisiphone, une des Erinyes (ou Furies), nous dit l’auteur de l’Enéide (Livre VI, vers 570 - 572), accueille les prévenus « en leur sautant dessus et les fouettant avec des serpents torves » comme nous la voyons expressément représentée au rez-de-chaussée de la maison du diable, à califourchon sur les épaules d’un moine, « le fouet de serpents torves en main », la tête enserrée par les griffes du démon et la gueule d'un serpent.
Ne serait-ce qu'à ce titre, le tympan de Conques est l'emblème de cette "Renaissance romane" du XIIe siècle, marquée par un regain d'intérêt pour les œuvres de l'antiquité gréco-romaine (tout en rejetant au Tartare une ancienne divinité chtonienne emblème de la vengeance).

Le triomphe romain Les étoiles Les étoiles Ange céroféraire (porteur de cierge) : il apporte la Lumière Le Christ en majesté Les étoiles Les étoiles Les étoiles Les étoiles
Le Christ dans sa triple mandorle et son cortège triomphal célébrant son adventus
Survolez l'image pour afficher les légendes
Le paludamentum, manteau des empereurs romains
Le geste souverain et les vêtements impériaux (paludamentum) et sacerdotaux (pallium) du Christ.
En couleur : le paludamentum (cyan) ; survolez l'image pour identifier le pallium (jaune)
Couronnant cette marche triomphale, comme un grand signe annonciateur du retour du Messie victorieux, une immense Croix Glorieuse jaillit dans le ciel. Une citation de l'évangile de saint Matthieu (Mt 24 : 30) désigne ce "signe du Fils de l'Homme" (<H>oc signum crucis erit in celo cum : ce signe de la croix sera dans le ciel...). Cette croix est davantage le signe de la victoire du Christ à la fin des temps que le souvenir tragique du Golgotha. Cette croix annonce donc la fin des Temps. (En lire plus sur la symbolique de la Croix glorieuse).
La Croix glorieuse
La Croix Glorieuse et les instruments de la Passion portés par les anges, comme un labarum

Tisiphone chevauchant un moine

Les serpents de Tisiphone

Les serpents de Tisiphone

Tisiphone chevauchant les épaules du moine. Survolez l'image pour repérer Tisiphone
Tisiphone, poitrine dénudée, fouette le moine (peut-être fornicateur) avec des "serpents torves"
Charon et sa massue étrusque
Cerbère
Charon
Cerbère

Les inscriptions latines qui commentent les scènes des deux volets sont rédigées en vers léonins (7). (En savoir plus sur les inscriptions et la versification) Si le style choisi et le rythme scandé expriment le souci de joindre l’élégance à la pédagogie, le choix du vocabulaire exprime la profondeur des sentiments : « Laetus, Gaudia, Pax, Requies », ajoutant à « l’amour des lettres » cette joie et cette paix que procure « le désir de Dieu ».

L’amour des Belles Lettres engendre la recherche affectée des hellénismes, jusqu'à inciter Bertram (le fameux moine de Conques, fort disert, auteur des 3 ème et 4 ème Livres des Miracles de sainte Foy) à attribuer à son propre Liber miraculorum le terme grec de « Panaretos » (l’Ineffable). Ce même attrait se traduit dans le graphisme des inscriptions du tympan, où le mot « Christo » est écrit à la mode grecque (XPISTO) ou encore, pour la commodité métrique de la versification, le terme grec “demonas” (La cotte de maille) remplace astucieusement le latin “demones ”. (8)

Christo Demonas

En illustrant leur discours catéchique fondé sur une pastorale du salut par des illustrations concrètes puisées dans l’histoire sainte, l’Histoire, les mœurs, us et coutumes de l’époque, en associant à la beauté des formes graphiques, une construction géométrique rigoureuse et la poésie (voir au chapitre 10 l'analyse de la versification), les Bénédictins conquois réalisent ici une remarquable illustration de leur maîtrise pédagogique destinée à élever l’âme de leurs contemporains. Ce projet humaniste ressemble beaucoup à la paideia de l’antiquité grecque. (9)

HIC ET NUNC
le moment du tympan est, nous l'avons dit, la Parousie. Du point de vue théologique, l’actualité du Salut trouve sa justification dans l'aphorisme de saint Irénée : « La Parousie est un éternel présent ».
Et c'est bien la représentation du temps présent qui s'offre à nos yeux. En effet, les Pères de l'Eglise, les clercs se sont interrogés pour savoir où se trouve le séjour des morts et quand se place le temps du Purgatoire, de la pénitence qui mène au Salut. La réponse n'est-elle pas simplement : ici et maintenant ?
Ecoutons ce qu'en dit saint Augustin, sous la plume de Jacques Le Goff : « La mise en relation de la pénitence et du “purgatoire”, qui sera si importante au XIIe XIIIe siècle, apparait pour la première fois avec netteté chez Saint Augustin. En définitive, si Augustin a explicitement ramené le temps de la purgation du Jugement dernier à la période intermédiaire entre la mort et la résurrection, sa tendance est de tirer encore en arrière, c'est-à-dire ici-bas, cette purgation. Au fond de cette tendance il y a l’idée que la tribulation terrestre est la principale forme de purgatoire ; d’où ses hésitations sur la nature du feu purgatoire. S’il s’exerce après la mort il n’y a pas d’objection à ce qu’il soit “réel” ; mais s’il existe sur terre, il doit être “moral”. » (J. Le Goff, op. cit.)
De même que l'on cherchait à l'époque médiévale le paradis terrestre (que l'on imaginait du côté de l'Abyssinie), Hugues de Saint-Victor pensait que le Purgatoire pouvait en certains cas être ici-bas sur terre. Certains chrétiens admettent, aujourd'hui encore, que des instants de paradis (voire de purgatoire) peuvent être vécus, ici et maintenant sur terre, par les vivants.
On notera que le terme de Tartare est employé à l'accusatif pluriel (”...sunt in Tartata mersi” : sont plongés dans les Tartares). Nous avons vu qu'il y a deux Tartares : à l'étage inférieur, le Tartare des morts éclairé par le feu purgatoire ; aux deux niveaux supérieurs, le Tartare des vivants, sans flamme mais avec des références explicites à l'actualité.
Ce n'est donc pas l'enfer futur que nous avons sous les yeux du côté droit du tympan : c'est bien plutôt notre monde, notre temps, notre vie actuelle. (voir également la question n° 16 de la FAQ consacrée à la société médiévale)

Le tympan nous montre le spectacle édifiant d'un monde contemporain livré aux passions, aux pulsions du pouvoir, du savoir et de l'avoir, une société où s'affrontent le pape et l'empereur avec de nouvelles armes meurtrières, et où se développent les hérésies. Mais il est également empreint de cette euphorie collective née de la victoire de la première croisade en juillet 1099. La libération miraculeuse du tombeau du Christ annonçait à coup sûr le retour imminent du Messie. Le vocabulaire employé dans les inscriptions versifiées traduit cette allégresse optimiste collective : LAETVS, GAVDIA, GAVDENTES (réjouie, les joies, joyeux).

SIGNES D'UNE MONDIALISATION

Mais, là aussi, cette forme recherchée traduit un souci d’ouverture du monde latin au monde grec, d’autant plus remarquable qu’elle intervient après le schisme de 1054. Ce mouvement d’accueil du monde oriental, déjà sensible par le choix de saint Jérôme « le plus oriental des Pères latins » comme unique représentant des Pères de l'Eglise dans la frise de la marche ecclésiale (voir une illustration) va jusqu’à intégrer un apport islamique soufi, en inscrivant en caractères coufiques fleuris l'espérance universelle (pour ne pas dire œcuménique !) en un jugement miséricordieux, (« La Félicité » ou « la Gloire » ou encore « Aujourd’hui, l’action de Grâce ») sur l'ourlet de la robe de l’ange à l'olifant (Revoir l'illustration). (10)
Cet emprunt à la culture arabo-musulmane, gravé au tympan d’une abbaye perdue aux confins des actuels départements de l'Aveyron, du Lot et du Cantal, n’a rien d’inexplicable : en effet, Conques possédait un prieuré sur les bords de l’Euphrate, comme le relate le «Sarrasin» venu de Damas, converti puis ordonné moine bénédictin sous le nom de Jean Ferré, devenu messager de l’empereur Michel de Constantinople et envoyé à Conques. (Cf. le Livre des miracles de sainte Foy). L’aire d’extension de l’influence de l’abbaye de Conques s’étendait en Orient, du Tibre à l’Hellespont et de la Corne d’Or de Constantinople jusqu’à l’Euphrate. Son influence s'exerce aussi sur la Galice à travers Saint-Jacques-de-Compostelle, l'Aragon et la Navarre. Par exemple, c'est un moine de Conques, Pierre d'Andouque, qui devient l'évêque de la capitale navarraise, Pampelune, en 1082.

On perçoit donc dans ce village blotti au creux d'un « ravin sauvage entaillant l'âpre désert de Conques », les marques d'une certaine mondialisation en ce lointain début du XIIe siècle : placée sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, cette abbaye du duché d'Aquitaine, inscrit dans sa pierre des références qui l'insèrent dans un espace européen et méditerranéen très élargi et qui renvoient à l'empire germanique (Charlemagne et son sceptre globulaire, Henri IV et Henri V), au roi de France (Louis le Pieux), à la Rome antique (le triomphe impérial), aux racines étrusques (Charun) ou grecques (Tisiphone), à Jérusalem (représentation du Temple et des tours), au Sinaï (les Tables de la Loi), aux civilisations mésopotamiennes (les barbes à la mode assyrienne d’Abraham et de Melchisédech), au monde arabo-musulman voisin dans la péninsule ibérique ou lointain sur les rives de l'Euphrate (l'inscription arabe en caractères coufiques persans), etc.

Loin d'être ignares, les moines et les artistes de l'époque romane puisaient leur inspiration à des sources très anciennes et fort lointaines, remontant par exemple à l'Egypte ancienne. En effet, comment ne pas songer au livre des morts égyptien face à la balance de la psychostasie, aux fleurs de lotus qui ornent le soleil du registre céleste ou aux trois ondes qui baignent les pieds du Christ ? Le Goff a signalé que l'imagerie médiévale reprenait souvent des motifs très anciens et venus de très loin (Cf. La Naissance du Purgatoire).

La balance et la plume H6
La balance de la psychostasie du Livre des morts égyptien La plume, emblème de Maat, déesse de l'ordre cosmique Le vase canope contenant l'âme du défunt

Lotus solaires
Les fleurs de lotus
Le lotus bleu d'Egypte
Les ondes sous les pieds du Christ
n Les ondes n
Hiéroglyphes égyptiens

Cette concentration de symboles hérités de l'antiquité mérite quelques explications. Nous avons conservé la balance comme symbole de la Justice que l'on retrouvait déjà dans les mythologies égyptienne et grecque (Thémis, déesse de la Loi). Sur le plateau de la balance du Livre des morts, en contrepoids de l'âme du défunt, on note la présence d'une plume, H6emblème de Maât, concept et divinité de l'ordre cosmique : pourquoi s'étonner alors que les plumes de l'aile largement déployée de saint Michel (qui tient le rôle d'Anubis) soient si bien mises en valeur à Conques ?
Le lotus symbolisait la renaissance dans l'Egypte ancienne. Ici, il fait écho à l'idée chrétienne d'une mort qui est l'occasion d'une naissance à la lumière de Dieu. Ces fleurs, jaillies des profondeurs obscures, traduisent la puissance créatrice de la lumière, source de vie, puissance divine, qui transforme l’énergie solaire en fleur de lotus.
Cette fleur sacrée du Nil (11) est intrinsèquement liée à l'eau, élément désigné par le hiéroglyphe Mou (cf. les 3 lignes brisées superposées nou). C'est précisément la même figure représentant trois ondulations superposées qui est choisie pour manifester la présence de l'Esprit Saint  sous forme d'ondes aux pieds du Christ. L'eau, élément vital du désert égyptien, incarne désormais l'Esprit Saint, source de Vie.
Au sommet du tympan, deux astres, le soleil et la lune encadrent la croix glorieuse. Ils l’illuminent de leur rayonnement suggéré par une double aura crénelée pour le soleil et par un halo plus pâle pour la lune. (12)
Chacun des astres tient deux bouquets de lotus. Leur représentation deux par deux n’est pas fortuite. Chaque couple signifie l’harmonie du mariage, l’hyménée homme-femme, la hiérogamie homme-Dieu et l'alliance que Dieu a scellée avec les Hommes. Initié au sommet, le thème de la dualité se révèle être une structure majeure, sous-jacente à toute la construction du tympan fondé sur le dualisme du bien et du mal. Ce couple binaire avec sa dialectique constitue la totalité, sinon l'unité, d’un espace-temps, ciel et terre, Tartare et Demeures paradisiaques, Ancien et Nouveau Testaments, anges et saints, et tous les personnages jumelés. Le signe de gémellité du lotus devient “le symbole général de la dualité dans la ressemblance, et jusque dans l’identité. La gémellité unit les créatures entre elles, et l’ensemble des parties à l’unicité divine Dualité équilibrée, elle traduit l’unité intérieure obtenue par la réduction du multiple à l’un.” (Dictionnaire des symboles, Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Alain Gheerbrant et Jean Chevalier, collection Bouquins, 1997.

Le Soleil et les fleurs de lotus
lotus lunaires

DU SIGNE DE LA BALANCE À CELUI DES GÉMEAUX
Au sommet du tympan, deux astres, le soleil et la lune encadrent la croix glorieuse. Ils l’illuminent de leur rayonnement suggéré par une double aura crénelée pour le soleil et par un halo plus pâle pour la lune. La présence des astres du jour et de la nuit peut être une référence aux visions apocalyptiques d'Isaïe : « Ton soleil ne se couchera plus, et la lune ne disparaitra plus, car Yahvé sera pour toi une lumière éternelle » . (Is 60 : 20).
Chacun des astres tient deux bouquets de lotus. Leur représentation deux par deux n’est pas fortuite. Chaque couple signifie l’harmonie du mariage, l’hyménée homme-femme, la hiérogamie homme-Dieu et l'alliance que Dieu a scellée avec les Hommes. Initié au sommet, le thème de la dualité se révèle être une structure majeure, sous-jacente à toute la construction du tympan fondé sur le dualisme du bien et du mal. Ce couple binaire avec sa dialectique constitue la totalité, sinon l'unité, d’un espace-temps, ciel et terre, Tartare et Demeures paradisiaques, Ancien et Nouveau Testaments, anges et saints, et tous les personnages jumelés. Le signe de gémellité du lotus devient “le symbole général de la dualité dans la ressemblance, et jusque dans l’identité. La gémellité unit les créatures entre elles, et l’ensemble des parties à l’unicité divine Dualité équilibrée, elle traduit l’unité intérieure obtenue par la réduction du multiple à l’un.” (Dictionnaire des symboles, Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Alain Gheerbrant et Jean Chevalier, collection Bouquins, 1997.

L'ÉCHO LOINTAIN DES CROISADES

Le XIIe siècle sera le siècle des Croisades : par trois fois, l'Europe entière, peuples et rois, se mobilise pour la libération du Tombeau du Christ à Jérusalem et la conquête de la Terre Sainte. Il y a une certaine analogie entre le tympan de Conques et les Croisades : en effet, tous les deux posent la question du Salut. L’accès à la vie éternelle ayant été assuré à tous ceux qui mourraient au cours de cette expédition, la croisade devient une sorte de pèlerinage eschatologique qui garantit le salut. A chacune des trois premières croisades, les Croisés sont persuadés de l'imminence de la Parousie.
L’épopée, qui mobilise les consciences dans un même élan où mystique et politique jettent l'Occident à la conquête de l'Orient, forge l’intuition de participer à l’avènement apocalyptique de la fin des temps, à l’accomplissement de la descente de la Jérusalem céleste dans la Jérusalem terrestre, à l’avènement imminent du Christ glorieux de la Parousie. Les grands d’Europe se sont coalisés pour libérer le tombeau du Christ et le mythe de Carolus Redivivus, Charlemagne ressuscité, prend de l’ampleur.
Parmi les Croisés, on trouve le Comte de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles, son chapelain, le troubadour Raymond d’Arguilers et Pierre Barthélemy, moine paysan analphabète de Marseille. Raymond d’Arguilers assure que « ceux qui terminent leur vie au service du christ ne sauraient mourir », tandis que Pierre Barthélemy, guidé par ses visions de saint André, découvre lors du siège d’Antioche, en 1098, la relique de la Sainte Lance.
Reflet de son siècle, le tympan comporte certains détails corrélés aux croisades (ou à la Reconquista)  : Charlemagne, béatifié en 1165, apparait au Paradis ; la Jérusalem terrestre est représentée, avec ses tours et le Temple de Salomon, figuré par ses colonnes, ses lampes et son pinacle placé au-dessus d’Abraham ; la Sainte Lance qui figure deux fois, dont une au bout du gonfalon brandi l'ange combattant, représentant des milices célestes (13) ; et bien sûr le Christ de la Parousie, Roi et Juge apparaissant pour le Jugement dernier annoncé, mais pas encore prononcé… Le Tartare purificateur, préfiguration d’un Purgatoire en gestation, apporte comme une promesse de Salut à ceux qui n’ont pu effectuer le pèlerinage en Terre Sainte.

La Sainte Lance
L'ange qui repousse de sa main gauche les ténèbres brandit de sa dextre la Sainte Lance

UNE ANTHROPOLOGIE TOUJOURS D'ACTUALITÉ

L’inventaire des personnages et des thèmes représentés au tympan de Conques révèle une anthropologie des plus modernes. En effet, si le terme de Tartare renvoie au substrat culturel antique, son contenu regorge de sujets qui sont toujours d’actualité.  
N'y est-il pas question de spéculation financière, de conflit ente les pouvoirs politiques et spirituels, de course aux armements prohibés, de lucre, de sexualité, de science dévoyée, d’avortement, de suicide, de mariage des prêtres, de sectes ? Et l’on voudrait croire que toute ressemblance avec les personnages et les interrogations qui agitent notre société contemporaine soit purement fortuite ?
Les enjeux éthiques, la question des rapports du pouvoir, du savoir et de l’avoir, si clairement posée par le sculpteur du XIIe siècle sont-ils si éloignés des débats qui emplissent notre presse quotidienne ?
Avons-nous vraiment tant de mal à nous reconnaître dans ce miroir qui nous montre un préteur à gage spéculateur avide d’une bourse toujours plus ronde, un manieur d’arbalète, un chevalier déchu, un ventre de femme rebondi plongé dans le chaudron de sorcière, un chrétien qui a renié sa foi sous le baiser amnésique au crapaud, un chasseur inversé rôti par le lièvre inverti, un empereur excommunié au ban des nations, ou un suicidaire s’enfonçant un poignard dans la gorge ?
La hiérarchie des faiblesses humaines n’est-elle pas toujours la même, et leur image symbolique ne garde-t-elle pas toute sa pertinence ?

En contrepoint, les personnages des Demeures* paradisiaques s’adressent tout autant à notre inconscient collectif et/ou individuel. On y trouve entre autres Charlemagne, le père de l’Europe, et toute la saga des Carolingiens à l’origine de la geste épique des romans de chevalerie qui vont enchanter l’occident au cours des siècles, jusqu’au Sacré Graal des Monty Python. On y voit aussi ce qui ressemble fort à un plaidoyer de la « cause des femmes » telle que se la représentaient les moines du XIIe siècle incarnée par trois femmes susceptibles de marquer les imaginations :
- sainte Foy, facétieuse fillette martyre et devenant ainsi prêtre à titre posthume ;
- Marie de Magdala, « apôtre des apôtres » pour les uns et « Marie-Madeleine pécheresse » pour les autres ;
- et enfin, l’archétype universel de la « Mère des Vivants », la Vierge Marie.

LE TYMPAN, MIROIR PARABOLIQUE

Par l'image et le son, rendre sensible l'invisible, tel est l’objectif du tympan.
Oui, par le son même, car pour la première fois dans l'art sacré, l'Ecriture déclamée reçoit part égale avec les figures dessinées : aux 120 personnages et symboles sculptés correspondent 300 paroles orchestrées de vers latins de style léonin. Situé au centre de l'hémisphère, le Christ anime de ses ondes le grand spectacle des œuvres de ce monde, véritable « opera mundi » sur écran géant. Parabole déployée, le tympan saisit les ondes invisibles de l'au-delà et les transmue en images et son pour nos yeux et nos oreilles d'ici-bas.
Emetteur - Récepteur, le tympan était aux hommes du XIIe siècle ce que sont pour nous aujourd'hui, la Radio et la Télévision : reflet de l'actualité, projection d'un état d'esprit vibrant de toutes les aspirations spirituelles de l'homme mis en présence de sa destinée. Le tout orchestré par le formidable réseau social que constituait l'Eglise !
Mise en scène comme une pièce de théâtre, la composition représente le triomphe impérial du Christ revenant à la Fin des Temps, vainqueur de la mort- au terme du mouvement parabolique de la Création. En cela, la composition du tympan de Conques supporte la comparaison avec la création d'Adam au plafond de la Sixtine par Michel-Ange.

Le tympan de Conques est donc loin d'être une œuvre “barbare et grossière”, pour reprendre les termes que Mérimée (mais aussi, avant lui, hélas, certains beaux esprits des Lumières ou de la Renaissance) employai(en)t pour qualifier l'expression artistique médiévale en général et romane en particulier. Il incarne plutôt l'acmé d'une civilisation qui allait bientôt sombrer.
C'est un chef d'œuvre réalisé par « les hommes de l'époque romane [qui] eurent conscience de vivre un véritable renouveau. Le phénomène affecta la totalité du champ historique, aussi bien la langue, la littérature, les arts plastiques que l'économie et la société, sans omettre les formulations théologiques et la sensibilité psychologique et morale » expliquait Marcel Durliat. (14) A ce titre, il est emblématique de la Renaissance romane.
Conques, isolée et enclavée au fin fond des gorges de l'Ouche, baigne en fait dans un environnement culturel largement ouvert sur la Méditerranée et l'Orient, où les idées circulent le long des routes de pèlerinages vers la Terre Sainte et Compostelle, mais aussi les produits et influences qui s'échangent le long des chemins de la croisade ou de la Reconquista.
Nous vous proposons maintenant de poursuivre sa contemplation par une approche de son esthétique. (suite)

Dernier chapitre : 9) L'esthétique


(1) Cf. les travaux de l'historien Michel Pastoureau (Michel Pastoureau, Bleu, Histoire d'une couleur, Points Seuil). (remonter)

(2) On notera que Charlemagne, placé du côté des élus est revêtu d'un manteau bleu. Ce signe paradoxal pour un empereur est tout à fait inouï et -à condition que la polychromie actuellement visible s'avère bien contemporaine de la taille du tympan- pourrait constituer un indice fondamental pour dater la création du tympan dans le dernier tiers du XIIe siècle, après la canonisation de Charlemagne, par l'antipape Pascal III en 1165, à la demande de l'empereur germanique Frédéric Barberousse. Les rois carolingiens sont traditionnellement vêtus de rouge. C'est pourquoi, Michel Pastoureau, le médiéviste spécialiste de l'histoire des couleurs, déclarait dans une conférence donnée au Louvre sur les couleurs du Moyen-âge : "Charlemagne ne se serait jamais habillé de bleu. Cela aurait été absolument inouï." On notera d'ailleurs que, du côté du Tartare, l'empereur germanique Henri IV est vêtu, lui, d'un manteau pourpre. (voir la vidéo sur la "Révolution bleue" des XIIe - XIIIe siècles). Ce qui était impossible au temps de Charlemagne devient possible à la fin du XIIe siècle, vers 1170, où les moines de Conques ont la géniale intuition du Purgatoire, concept qui émerge à cette époque (Cf. Le Goff). (remonter)

(3) Beaucoup d'armes sont représentées au tympan. Outre Charon et sa massue, les diables utilisent des armes qui parlent à notre imaginaire : on trouve, non seulement une arbalète, mais également une fourche, des cordes, un glaive, une broche, des tenailles, un poignard, une francisque, une masse d'arme, une pioche, des boucliers, une lance et un filet. Tout un arsenal destiné à impressionner le pécheur incité par de tels arguments à réformer ses mœurs. La présence de l'arbalète, arme déloyale condamnée par Innocent II au concile de Latran en 1139, pourrait constituer un indice en faveur d'une datation tardive du tympan, pour le moins postérieure à cet anathème. (remonter)

(4) Le Christ sur la croix a reçu le coup de grâce au côté droit. Mais le Christ de la Parousie est le Christ ressuscité bien plus que le Crucifié : c'est pourquoi la trace du coup de lance n'est pas représentée, pas plus que les stigmates ou la couronne d'épines. (remonter)

(5) Cette procession, peuplée de dix anges, reprend toutes les caractéristiques de l'adventus ou cortège triomphal romain tel que le décrit le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines d'après Les textes et les monuments, Charles Daremberg et Edmond Saglio, Paris, Hachette, 1877-1919. D'autres éléments du tympan se réfèrent à ce cortège. Dans le Tartare plusieurs démons sont vêtus comme les histrions, ces bouffons parodiques chargés de narguer les prisonniers vaincus, traînés comme trophées dans le cortège. Nous verrons plus loin que la composition géométrique centrale évoque un chrisme (illustration), à l'image du labarum de Constantin. Mais cette procession est aussi la mise en scène apocalyptique de l'évangile de Matthieu partiellement cit à sur les deux banderoles : « Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. [...] et il séparera les gens les uns des autres [...] Alors le Roi dira à ceux de droite : "Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du ". [...] Alors il dira encore à ceux de gauche : "Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges" » (Mt 25 : 31-41). Les quatre anges qui ouvrent la procession empiètent entièrement sur l'espace du diptyque attribué aux Tartares : ainsi la présence du Christ imprègne le monde des vivants et repousse le domaine du mal...  Enfin, Jacques Bousquet avait fait remarquer que le geste du Christ "était aussi delui des empereurs romains, un signe de commandement, de pouvoir, fréquent en particulier sur les statues équestres" (Jean-Claude Fau, Rouergue roman, Zodiac, la nuit des temps, 3e édition, 1990, La Pierre-Qui-Vire, p. 169). Les deux anges céroféraires (porteurs de cierges) évoque la parole du Chrirt : « Ego sum Lux Mundi » (Jn 8 : 12). Ainsi, le tympan de Conques fait la synthèse des trois grandes sources d'inspiration médiévales : l'héritage romain, la pensée chrétienne et la culture populaire que nous évoquerons bientôt à travers le culte de sainte Foy. (remonter)

(6) « Les moines parlent en images et en comparaisons qui sont empruntées à la Bible, et qui comportent en même temps une obscurité propre au mystère qu'il s'agit d'exprimer. » Dom Jean Leclercq, l'Amour des lettres et le désir de Dieu, Cerf, 2008, p. 189. (remonter)

(7) Imprégnés de culture classique, lecteurs de Vitruve, de Quintilien, de l’ars memoriæ de Cicéron, voire des comédies de Plaute, les moines du XIIe siècle ont inscrit leur pensée dans des schémas intellectuels hérités, non seulement de la pensée des Pères de l’Eglise, mais aussi de l’antiquité gréco-romaine. « La vie intellectuelle de ce temps est marquée par la fascination des origines, celle de Cicéron et de Virgile, le souci de la bonne latinité. L’Eglise ne restera pas à l’écart de ce mouvement. » André Vauchez, La Spiritualité au Moyen-âge Occidental, Seuil, p. 74. Voir aussi la page des inscriptions. (remonter)

(8) Les moines jonglaient donc avec les langues, lorsqu'ils avaient besoin, par exemple, d'une syllabe brève au lieu d'une longue. Voir les travaux de François De Coster, Pour une relecture des inscriptions du tympan de l'abbatiale de Conques, Etudes Aveyronnaises 2010, p. 308. Le bénédictin et excellent médiéviste Dom Jean Leclercq a souligné l'influence exercée par Origène, père de l'Eglise, d'origine grecque, notamment au XIIe s. : « On peut constater qu’à chaque époque et dans chaque milieu où il y eut un renouveau monastique, on assiste à un revival d’Origène. Ceci est vrai de la réforme carolingienne ; c’est encore plus net, en tous cas plus facile à constater, au sujet du renouveau monastique du XIIe siècle. (…) Le renouveau origénien du XIIe siècle coïncide avec le renouveau monastique auquel est relié le nom de Saint Bernard » (Dom Jean Leclercq, L’Amour des Lettres et le Désir de Dieu, Cerf, 2008, p.93) (remonter)

(9) La paideia (παιδεία) est la conception de l'éducation des enfants dans la Grèce antique. C'et un remarquable système de formation pluridisciplinaire, à la fois littéraire, artistique, historique, scientifique et physique, destiné à façonner l'homme et élever son âme. Les chanoines de l'abbaye de Saint-Victor à Paris, créateurs d'une école ancêtre de l'université, et notament un de ses maîtres les plus célèbres, Hugues, en sont les héritiers. (remonter)

(10) Jean-François Faü en a souligné le caractère hautement élaboré : “L'inscription gravée est reproduite sur tout le galon de façon répétée, de droite à gauche conformément à la graphie arabe, puis de gauche à droite suivant un mode de présentation qui se retrouve sur certaines monnaies d'époque fatimide” et il en a souligné les aspects caractéristiques du style calligraphique fleuri hispano-omeyade du XIe siècle ornant les hampes des aleph et lamed de motifs végétaux stylisés. “Ce mode d'expression plastique illustre l'évolution d'un art islamique en pleine possession de sa technique” (Jean-François Faü, A propos de l'inscription en caractères coufiques sur l'ange sonneur d'olifant au tympan de Sainte-Foy de Conques, Cahiers de Conques n°1, Centre Européen d’Art et de Civilisation Médiévale, 1995, p. 67-70.) (remonter)

(11)  Ce lotus bleu d'Egypte (Nymphaea caerulea) est en fait une sorte de nymphéa, plante aquatique du Nil proche du nénuphar. (remonter)

(12)  La présence des astres du jour et de la nuit peut être une référence aux visions apocalyptiques d'Isaïe : « Ton soleil ne se couchera plus, et la lune ne disparaitra plus, car Yahvé sera pour toi une lumière éternelle » . (Is 60 : 20). (remonter)

(13) La Sainte Lance est nommée (LANCEA) et sa pointe est représentée au niveau de la Croix glorieuse. (remonter)

(14) Marcel Durliat, L'art roman, Citadelles et Mazenod, 1982. (remonter)

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La Sainte Lance

 

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