Sainte Foy martyre et prêtre

L'abbatiale de Conques est dédiée à sainte Foy, enfant martyrisée pour sa foi, pendant les grandes persécutions dont furent victimes les Chrétiens au début du IVe siècle, lors des édits de Dioclétien en 303. C'est une fillette née dans une riche famille gallo-romaine d'Agen vers 290. Sa nourrice, chrétienne, épaulée par l'évêque Caprais, l'élève dans les valeurs chrétiennes. Elle reçoit le baptême et assiste les pauvres. Elle est dit-on dénoncée par son père et jugée par Dacien, alors proconsul. Refusant d'abjurer sa foi et de sacrifier aux rites païens de Diane et de Janus, elle est condamnée à l'âge de 12 ans en même temps que l'évêque saint Caprais. La tradition retient la date du 6 octobre pour fêter sainte Foy, au jour anniversaire de son martyr en 303, où elle sera brûlée vive puis, un souffle miraculeux ayant éteint le bûcher, décapitée.

La condamnation de sainte Foy
La condamnation de sainte Foy, chapiteau de Conques

Ses reliques font l'objet d'une certaine vénération locale jusqu'au jour, où, en 866, un moine conquois, Avariscius, "vole"(1) dit-on ces reliques pour les apporter à Conques, probablement pour les protéger des ravages des Normands. Dès cette translation furtive qui semble convenir à tous, notamment à la sainte, les miracles se multiplient à un point tel que la notoriété des reliques et de l'abbaye ne font qu'augmenter. Les pèlerins affluent. Conques bénéficie en outre du passage de la via podiensis, chemin du Puy à Saint-Jacques-de-Compostelle.

Au XVIIe l'abbaye commanda aux manufactures de Felletin une série de tapisseries dont consacrées à Marie de Magdala et à la jeune martyre. Ces dernières sont exposées dans la basilique lors des célébrations du culte de sainte Foy, début octobre.

Tapisserie de sainte Foy
Sainte Foy devant Dacien (Tapisserie de Felletin, Photo Wikimedia)

La littérature médiévale amplifie cette notoriété, notamment grâce à deux textes restés célèbres. Le premier, la Cançon de Santa Fe (2) raconte en langue d'oc la foi exemplaire et le martyre de la fillette. L'université de Leyde en détient le seul manuscrit retrouvé. Le second, le truculent Livre des miracles de Sainte Foy (3) raconte les innombrables merveilles accomplies par la sainte vénérée à Conques : les deux premiers livres ont étés rédigés en latin par Bernard d'Angers, entre 1013 et 1020, en plein "moyen-âge merveilleux", tandis que les troisième et quatrième le seront par Bertram, moine bénédictin de Conques, second de Bégon à la fin du siècle. Parmi la dizaine de manuscrits connus, les plus anciens datent du XIe siècle à Conques et du XIIe à la bibliothèque humaniste de Sélestat.
Mais si ces traditions sont bien connues, d'autres aspects concernant sainte Foy méritent d'être soulignés, notamment sa prêtrise.

LE SACERDOCE DE SAINTE FOY
Du point de vue de la tradition catholique, le martyr est considéré comme prêtre, puisqu'il bénéficie d'une ordination céleste pour avoir versé son sang
pour le salut du monde, comme le Christ. (4)


Plusieurs symboles suggèrent l'ordination céleste de sainte Foy : son couronnement par un ange (représenté deux fois, au tympan et sur l'enfeu de Bégon, et les deux marches de l'autel vers lequel elle monte pour s'incliner, comme le prêtre qui s'apprête à célébrer l'Eucharistie s'élève vers l'Autel en prononçant l'“introibo ad altare Dei” dans l'ordinaire de la messe.

Plusieurs autres témoignages confirment le caractère sacerdotal de sainte Foy : le Livre des Miracles de sainte Foy d'une part et les reliquaires d'autre part.

- Au chapitre VI du quatrième Livre des Miracles, les habitants de Calonge en Catalogne remercient sainte Foy de la protection qu’elle leur a accordée :
« Fidèles à leur vœu, ils offrirent, à l’exemple du patriarche Abraham, la dîme de leur butin à sainte Foy, qui était ici la figure du grand prêtre Melchisédech. Car de même que celui-ci offrit le pain et le vin pour rendre grâce à Dieu de la victoire remportée par le patriarche Abraham, de même notre pure vierge, pour obtenir les grâces de délivrance par l’invocation de son nom, avait été elle-même, aux yeux du Seigneur, prêtre et agréable victime sur l’autel du gril de fer, au milieu des flammes ardentes. » (Liber Miraculorum, cité dans Bouillet et Servières, "Sainte Foy, vierge et martyre", Carrère, 1900 p. 562)

- Sur le célèbre reliquaire de sainte Foy en majesté, la sainte était revêtue à l'origine d'un habit sacerdotal, l'amict, destiné à protéger le prêtre des agressions du mal.

Amict
L'amict ou pectoral de sainte Foy



Sainte Foy prêtre le couronnement de sainte  Foy Sainte Foy  prosternée devant la main de Dieu le calice et le trône vide, symboles de la présence du Christ Ex-voto  des prisonniers libérés par sainte  Foy
Le couronnement et l'ordination céleste de Sainte Foy

Ainsi, à quatre reprises, avec deux apparitions au tympan, (couronnement céleste et prosternation devant l'autel), plus une seconde représentation de son couronnement (au-dessus de l'enfeu de Bégon) ; et une superbe relique la représentant assise sur un trône, (et sans compter les "joca sanctae Fidis", savoureuses facéties rapportées dans le fameux Liber miraculorum), la prêtrise céleste de sainte Foy est attestée et particulièrement vénérée à Conques, un culte inscrit tout naturellement dans la lignée du "Peuple de prêtres, peuple de rois" de la tradition biblique.

Elle n'est pas la seule femme prêtre !

DES FEMMES EN HABITS SACERDOTAUX !

La présence de femmes vêtues d'habits sacerdotaux n'est pas rare dans l'iconographie médiévale : outre sainte Foy à Conques, on trouve par exemple une statue de la Vierge à l'Enfant assise, datant du XIIe siècle dans l'église Notre-Dame d'Estables, à Saint-Laurent d'Olt (Aveyron) où Marie porte l'étole et la manipule (bande d'étoffe ornant sa manche).

 

Les Vierges à l'enfant revêtues du pallium (5) sont fréquentes en Auvergne : on peut citer la Vierge noire de Notre-Dame-de-l'Annonciation au Puy-en-Velay, la Madone de Notre-Dame d'Estours, celle de Saugues, deux villages voisins de Haute-Loire, celle de La Chomette, toujours en Haute-Loire, celle de Châteauneuf-les-Bains dans le Puy-de-Dôme ou encore la Vierge de Notre-Dame de Vernols (Cantal)...

Pallium
Un pallium (habit sacerdotal)

 

 

 

Notre Dame d'EStables
Vierge en majesté revêtue des habits sacerdotaux, N. D. d'Estables (XIIe siècle)

Vierge noire de Notre Dame du Puy

La Vierge Noire de Notre-Dame-de-l'Annonciation, Le Puy
(gravure de Veyrenc, 1779, sce. Wikipédia)




Notre Dame d'Estour
Notre Dame d'Estours
(église Saint-Pierre à Monistrol d'Allier)
Avec l'aimable autorisation du photographe Dennis Aubrey
Vierge de Vernols
Notre Dame de Vernols
(Musée d'art Roger-Quilliot [MARQ], Ville de Clermont-Ferrand)
Vierge de Saugues
Collégiale Saint-Médard de Saugues (Haute-Loire)
(avec l'aimable autorisation du site architecture religieuse en occident)

L'école auvergnate de la sculpture romane n'est pas un cas isolé. Un autre exemple nous est fourni à Klagenfurt par un vitrail du XIIe siècle représentant Marie de Magdala elle aussi revêtue de l'habit sacerdotal. Comme quoi, l'Eglise médiévale admettait, du moins dans l'iconographie, l'existence de femmes prêtres. Cela pourrait bien revenir...

Complétez l'étude de sainte Foy par les rubriques consacrées à son culte, à son reliquaire, à son couronnement et au rôle de ses suffrages.

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(1)  Ce prétendu vol s’inscrit dans une tradition à l'origine d’un véritable genre littéraire celui du récit de « translation furtive » bien étudié par l’historien américain Patrick J. Geary dans son étude sur le vol des reliques au Moyen Age. (Furta Sacra: Thefts of Relics in the Central Middle Ages, Princeton University Press, 1978 ; traduite par Pierre-Emmanuel Dauzat, et publiée sous le titre Le vol des reliques au Moyen Age. Furta Sacra dans la collection Histoires par Aubier en 1993). Le culte des reliques atteint son apogée au cours des IXe - XIe siècles et nourrit une importante circulation des reliques à travers l’Occident Chrétien. Parmi les divers modes d’acquisition des reliques (achat, don, découverte miraculeuse…), le vol est paradoxalement un des plus prestigieux. En effet l’acte lui-même atteste et amplifie la valeur de la relique. A tel point, que de nombreuses acquisitions font l’objet d’un récit plus ou moins fictif de « translationes » maquillant en larcin d’autres modes d’acquisition. Ce vol s’accompagne toujours d’une justification qui l’absout et le sanctifie : il est justifié soit par les intentions pieuses de son auteur, soit par des mesures nécessaires de sauvegarde (comme c’est fort probablement le cas à Conques pour protéger les reliques de sainte Foy menacées par les razzias vikings dans la région d’Agen), soit encore et surtout par la volonté du saint lui-même qui non seulement ne s’y oppose pas mais parfois favorise son propre transport (puisque, dans la croyance médiévale, le saint est vivant et ses reliques assimilées à sa personne). Cette justification constitue une parade face au droit qui considère le vol, le commerce voire le déplacement de restes humains comme un crime grave, puni de mort dans le droit romain par exemple. La caution morale qui justifie la subtilisation manque totalement aux autres modes d’acquisition de reliques ; c’est pourquoi l’achat ou le don paraissent moins prestigieux.  La présence d'une relique étant un bien collectif, elle ne saurait s'accomoder d'une propriété privée et sa vente par un Chrétien est inconcevable.
Les dons sont souvent effectués par les rois envers les abbayes qu’ils protègent : ainsi Conques a reçu de Charlemagne de précieuses reliques  ; mais ils proviennent aussi de prélats, tel le pape Pascal II offrant à Conques en l’an 1100 une relique de la Vraie Croix.
Pour une abbaye, l’arrivée d’une nouvelle relique représente un enjeu majeur : elle garantit l’afflux d’une quantité importante de pèlerins, assurant ainsi à la fois sa renommée et sa prospérité. Elle constitue en outre un élément stratégique dans le contexte des rivalités entre abbayes concurrentes : Patrick Geary signale que l’acquisition des reliques de sainte Foy permet à Conques de freiner l’essor de sa filiale de Figeac. En retour, la relique assure la protection des pèlerins et des fidèles qui la vénèrent.
(voir la Chronique de l'abbaye) (remonter)

(2) La Chanson de sainte Foy, poème de 593 octosyllabes, est un des plus anciens textes littéraires connu en langue occitane, remontant probablement au tout début du XIIe siècle. On peut la trouver sur Gallica (fac-simile, transcription et traduction) ou uniquement la traduction d'Antoine Thomas sur Wikisource. Dans ses deux communications durant le deuxième colloque de Grasse en 1976, M. André de Mandach, professeur à l'université de Neuchâtel, expose les arguments qui étayent son intuition que la Cançon de Santa Fe est probablement la plus ancienne pièce de théâtre en langue occitane, et même de toute la littérature française. Cf. "La vie théâtrale dans les provinces du Midi : actes du IIème colloque de Grasse", 1976, publié par Yves Giraud, Gunter Narr Verlag, Tübingen, et Editions Place, Paris, 1980 ; lire notamment : André de Mandach, Contribution à l’histoire du théâtre en Rouergue au XIe siècle : un mystère de sainte Foy ? et La chanson de sainte Foy en occitan : chanson de geste ou théâtre de danse, p. 15-45. Lire un extrait en ligne. (remonter)

(3) Le Liber Miraculorum de Sancte [sic] Fidis dans l'édition de l'Abbé A. Bouillet (Paris, 1897) est consultable sur Gallica. (remonter)

(4) La prêtrise céleste des martyrs trouve son fondement dans les Ecritures, notamment l'Apocalypse : « Ensuite je vis des trônes, et ceux qui s'y assirent reçurent le pouvoir de juger. Je vis aussi l'âme de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus [...]. Ils revinrent à la vie et ils régnèrent avec le Christ pendant mille ans. C'est la première résurrection. Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection ! La seconde mort n'a pas de pouvoir sur eux, mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ et règneront avec Lui pendant mille ans. » Jean, Ap 20 : 4-6. (remonter)

(5) Un pallium est un vêtement sacerdotal, sorte d'étole constituée d'une bande d'étoffe passée sur les épaules. Il tire son nom du manteau grec adopté par les Romains et représente la mission pastorale au secours des brebis égarées. Cet ornement liturgique est réservé au pape, aux Archevêques et autres plus hauts dignitaires de l'Eglise. Il est également porté par saint Pierre et par le Christ de la Parousie au tympan de Conques. (remonter)

 

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