Le thème du "Revenant " et la dynastie impériale

A propos du changement dynastique des Saliens franconiens au profit des Hohenstaufen, on peut évoquer le thème alors déjà à la mode du mort vivant en la personne de Conrad, le "Revenant de Nivelles". Celui-ci remonte du Tartare (sic) pour solliciter sa libération grâce aux suffrages* des vivants. Ce thème qui reflète la vision théologique du XIIe siècle sur le statut des morts s'accompagne d'innombrables récits merveilleux évoquant l’au-delà.
A Conques, cet archétype n'est pas simplement utilisé pour promouvoir la pastorale d'un purgatoire en gestation, mais il est impliqué dans un véritable complot politique historique, qui vise à substituer une dynastie nouvelle sur le trône du Saint-Empire romain germanique.

L’opération se fait en trois temps :
- Un bon augure. A la fin du XIe s. (vers 1098), les trois fils de la comtesse de Lorraine, Hildegarde viennent à Conques en pèlerinage pénitentiel après avoir perpétré l’assassinat d'un rival, Albert 1er de Dabo (Dagsburg), comte de Lorraine. L'Abbé Bégon III les reçoit « fastueusement ». L’un des trois frères, Conrad réussit même à remplir de son biceps le brassard relique de Charlemagne, ce qui est de bon augure, selon la légende prophétique. De retour en Alsace, en remerciement pour l'accueil réservé à ses fils, Hildegarde offre à Bégon le prieuré de Sélestat fondé en 1094 par la maison de Buren - Hohenstaufen.

- Deuxième temps : le retour du fantôme de Conrad. Plusieurs décennies sont passées ; Conrad est mort. Le prieuré de Sélestat végète jusqu’au jour où un mystérieux chevalier rapporte à son prieur la vision spectrale et le message de Conrad "revenu du royaume des morts". Le messager d'outre-tombe révèle les tourments affreux qu'il subit et qui, selon lui, ne cesseront que lorsque ses deux frères vivants, Othon et Frédéric, offriront à sainte Foy sa propre part d’héritage (à savoir la gestion entière de la ville de Sélestat), naturellement récupérée par les deux survivants à leur profit.(1) Et le revenant d'ajouter : si ses frères accèdent à cette supplique, sainte Foy ne manquera pas de les récompenser ; la souche des Hohenstaufen d’Alsace succèderait alors aux Saliens sur le trône impérial !
Tel est le récit merveilleux du « Revenant » rapporté par le brillant rédacteur du Quatrième livre des miracles de sainte Foy, Bertram, Prieur de Sélestat et artisan de sa prospérité recouvrée, et selon sa propre opinion, en toute modestie, "le plus disert des moines de Conques". (2)

- Troisième temps : révolution dynastique et béatification de Charlemagne. La prière de Conrad est exhaussée, Conques récupère toute la prébende de Sélestat et la promesse de sainte Foy peut s’accomplir : en 1138, Conrad III de Hohenstaufen, petit neveu de Conrad, est élu roi des Romains. A sa mort en 1152, c'est son neveu, Frédéric de Hohenstaufen, dit Barberousse, qui lui succède et sera couronné empereur germanique en 1155. La prophétie du bras de Charlemagne s'est accomplie. A la demande de l'empereur, Charlemagne est canonisé par Pascal III en 1165. Bien que ce dernier soit un antipape, l'Eglise romaine n'a jamais désavoué cette sanctification, se limitant désormais à évoquer Charlemagne sous le titre de "Bienheureux". A Conques, l'empereur carolingien est représenté sans auréole, mais vêtu d'un manteau bleu, de la même couleur que la Vierge.


Conrad 3
Conrad III
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(1)  C'est le schéma récurrent du fantôme ayant une mission à accomplir : pour que cessent ses tourments, il doit inciter quelqu'un de vivant à faire quelque chose.

(2) Cf. Livre des Miracles de sainte Foy (fin du XIe siècle), manuscrit de Sélestat.

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