Le statut des Morts

La résurrection des morts

La résurrection des Morts(1). Les anges ouvrent les tombeaux des élus
On reconait de gauche à droite, un clerc, une femme, un homme.

 

Accueil des élus

Accueil des élus à la porte des Demeures

Au XIIe siècle, naissent de nouvelles interrogations : où vont les morts ? Que se passe-t-il entre le temps de la mort et celui du Jugement dernier à la fin des temps ?
Si le sort des saints, des justes et des martyrs conduits immédiatement vers le paradis ou celui des impies, criminels et apostats dirigés directement en Enfer, ne fait aucun doute, qu'en est-il pour l'immense majorité des Chrétiens, pauvres pécheurs devant l'Eternel, qui ne sont ni tout à fait bon pour être sauvés immédiatement, ni tout à fait mauvais pour être damnés pour l'éternité ? Le tympan de Conques y apporte une réponse, très originale.
Le statut des défunts fait l’objet d’une réflexion théologique doublée de récits merveilleux, qui conduiront à la « Naissance du Purgatoire » selon l’expression de Jacques Le Goff.
La question du sort des âmes conduit les concepteurs du tympan à situer celles des élus dans les « Demeures* paradisiaques ou angéliques » dès leur Jugement particulier*, et celles des autres dans le Tartare*, comme l’expose saint Bernard (1090-1153) :
« Quand les péchés de quelques-uns, ainsi que l’évidente ardeur de quelques autres passent en jugement, alors les premiers insouciants d’une sentence immédiate à la mesure de leur crime disparaîtront dans le Tartare, les autres directement et sans tarder, l’âme entièrement libérée, s’élèvent aux Demeures préparées pour eux ». (Dictionnaire de Théologie Catholique)

Ainsi en est-il pour les élus, que l'on voit sortir de leur tombeau, accueillis par les anges directement dans les demeures paradisiaques. (1)

 
 
Mais où se trouve le Tartare ?

De même que l'on cherchait alors un "paradis terrestre", certains pensaient que le Tartare, ce royaume des morts où les âmes sont soumises à un feu purgatoire, pouvait être aussi un "locus purgatorius", un lieu de purgation, situé sous terre, voire quelque part sur terre, peut-être du côté de l'Etna.

Conques cristallise peut-être le moment où ce "purgatoire" cesse d'être un lieu pour devenir un état. Si Hugues de Saint-Victor évoque des lieux corporels, Honorius d'Autun penche pour des lieux strictement spirituels.
Quoi qu'il en soit, l’ensemble des théologiens de la "renaissance romane" croient fermement en la rédemption :
- Honorius d’Autun : « Parmi les élus il y a aussi des défunts qui sont loin de la perfection. Ceux-ci sont livrés avec la permission des anges aux démons pour y être jugés ». (Nous verrons avec Dadon ou Charlemagne que les élus sont en effet loin d'être tous des saints ou des hommes irréprochables ! Au préalable, ils auront été soumis un temps aux démons pour être purifiés de leurs fautes, avant de rejoindre les Demeures)
- Saint Anselme (1033 - 1105) : « par la plénitude de ta grâce Marie, les êtres retenus en enfer se réjouissent d’être libérés, et les créatures du ciel d’être restaurées. »
- Hugues de Saint-Victor (mort en 1141) : « du commencement du monde jusqu’à sa fin, il n’y a pas de vraie bonté sans justification* par la grâce, et par la grâce du Christ. »
Purgation - grâce - restauration - suffrages* - demeures* - justification, intercession mariale, délivrance, le vocabulaire des théologiens s’accorde avec les figures du tympan de l'abbatiale du Saint-Sauveur à Conques. (2)

Le théologien dont la vision nous semble la plus proche des scènes représentées à Conques est certainement saint Bernard qui décrit les trois régions où vont les morts en ces termes : « Il y a trois endroits destinés aux âmes des morts, selon leurs différents mérites, l'enfer, le purgatoire et le ciel. L'enfer est pour les âmes impies, le purgatoire pour celles qui doivent se purifier, et le ciel pour celles qui sont parfaites. Ceux qui sont en enfer ne peuvent plus être rachetés, attendu que dans l'enfer il n'y a plus de rédemption. Ceux qui vont dans le purgatoire attendent leur rédemption, mais auparavant ils doivent souffrir les ardeurs du feu [...]. Ceux qui sont dans le ciel goûtent une joie complète dans la vision de Dieu [...]. Mais puisque, de même que les premiers ne méritent plus d'être rachetés, les derniers n'ont plus besoin de l'être, il ne nous reste que les seconds, chez qui nous devions nous rendre par un sentiment de compassion [...]. J'irai donc dans cette contrée, et je verrai [...] comment un Père plein de bonté abandonne les enfants qu'il doit glorifier ensuite, aux mains du tentateur, non pour que celui-ci les tue, mais pour qu'il les purifie ; non pour encourir sa colère, mais pour obtenir sa miséricorde ; non pour leur destruction, mais pour leur instruction. [...] Je me lèverai donc pour leur venir en aide, je pousserai pour eux des gémissements, j'implorerai le Seigneur par mes soupirs, j'intercéderai par mes prières. » (3)

A propos des visions merveilleuses concernant le statut des morts, on peut aussi se référer au mythe du "revenant", modèle d'un genre littéraire merveilleux qui trouve à Conques un exemple politique d'actualité. Voir l'histoire de Conrad.

La scène de l'ouverture des tombeaux est placée à la jointure des Ancien et Nouveau Testaments, peut-être en référence à la prophétie d'Ezéchiel : « Ainsi parle le Seigneur, l'Éternel : Voici, j'ouvrirai vos sépulcres, je vous ferai sortir de vos sépulcres, ô mon peuple, et je vous ramènerai dans le pays d'Israël. » (Ez 37 : 12) ou encore à celle de Daniel : « Ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l‘opprobre, pour l’horreur éternelle ». (Daniel, 12 : 2) Plusieurs autres passages de l'Ancien Testament évoquent la résurrection des morts (Is 26 : 19 ; 2M 7 : 9 ; ou encore Jb 19 : 26).On peut bien sûr y voir aussi une illustration de la levée des morts prophétisée par Jésus à Jérusalem, et rapportée par Jean : « n'en soyez pas étonnés, car elle vient l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront [la] voix [du fils de l'homme] et sortiront : ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection à la vie ; ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement. » (Jn 5 : 28-29)
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(1) L'emplacement de la scène de la résurrection des morts, n'est pas fortuit. Cet écoinçon juxtaposé en symétrie inversée à celui de sainte Foy suggère un lien de cause à effet : pour le christianisme, c'est la foi qui enfantera la Résurrection. (remonter)

(2) Voir aussi la question du Salut et la note sur l'innovation théologique de Conques dans la FAQ (remonter)

(3) Saint Bernard, Sermon divers (Sermones de diversis), XLII, 5. (Cf. texte en ligne) (remonter)

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