DÉCRYPTAGE DE L'ÉCOINÇON DE SAINTE FOY

écoinçon de sainte Foy : l'autel et la main de Dieu Les Ondes divines La main de Dieu traversant le nimbe crucifère

Sainte Foy effleurée par la main de Dieu
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Un trône (vide), deux marches, trois arches et quatre sens de l'écriture : une grande densité sémiologique  :
Tous les thèmes majeurs du tympan sont ici condensés sous forme allégorique : la continuité des Écritures, la foi, le salut, le sacerdoce, l'Église

LA POLITIQUE DU TRÔNE VIDE
Adossé à un des piliers, derrière sainte Foy, un trône aux montants ornés de globes est représenté, vide.
Le symbole du trône vide remonte au moins à la mort d'Alexandre le Grand. Lors de son décès, tous les satrapes furent conviés à confirmer leur serment de fidélité sur le trône désormais vide de l'empereur mais cependant censé demeurer toujours présent. Cette coutume s'est perpétuée dans le culte des morts des Romains, avant d'être reprise par le christianisme (1). Ainsi ce trône
vide évoque la présence du Christ mort et ressuscité et dont les Chrétiens attendent le retour à la fin des temps.
Mais le fait qu'il soit placé juste en arrière de sainte Foy, renvoie aussi à son sacerdoce. Le trône est le siège sacerdotal, la cathèdre, celui du prêtre par excellence, Jésus Christ, mais aussi celui de sainte Foy qui a reçu l'ordination céleste des martyrs. C'est sur un trône identique, avec ses globes, que la sainte est représentée en majesté dans la célèbre châsse recouverte d'or.
Le trône vide
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LES DEUX MARCHES
On remarque que sainte Foy "est montée jusqu'à l'autel", comme les prêtres. Cette ascension vers l'autel est simplement symbolisée par les deux marches en haut desquelles elle s'agenouille.
Elle se prosterne devant la main de Dieu, et reçoit l'ordination céleste des martyres. Cette ordination se fera à titre posthume, c'est pourquoi elle recevra, comme la Vierge, la couronne ronde que l'ange placé juste au-dessus d'elle (dans le registre médian du tympan) élève vers le Ciel.
C'est une illustration de la formule prononcée par le prêtre qui s'apprête à célébrer l'eucharistie : « Introibo ad altare dei » (J'irai vers l'autel de Dieu).

Les marches de l'autel Les 2 marches de l'autel de Dieu Sainte Foy orante La main de Dieu
Le suppedaneum (ou marche supérieure des 3 marches) de l'autel de sainte Foy


LES TROIS ARCHES

Les trois arches de l’écoinçon de sainte Foy sont bien sûr très symboliques.

Au sens littéral, celui du premier degré, on a coutume de dire que ces arches représentent l'église abbatiale de Conques elle-même, avec les fers des prisonniers libérés par sainte Foy accrochés comme ex-voto. (2)

L'église, au sens large, est symbolisée par un autel qui porte un calice, qui évoque naturellement l'Eucharistie, sacrement central du christianisme.

L'autel et le calice, apanage de la prêtrise, sont encore une autre allusion au sacerdoce céleste de la sainte elle-même.

 

 

Le trône
Les 3 arches ecclésiales. Survolez l'image pour visualiser les détails

On notera au passage le souci du détail, exemple révélateur du soin accordé à l'ensemble de la facture du tympan : l'autel est recouvert d'une nappe, dont les plis sont minutieusement dessinés, jusqu'aux franges du feston.

 

Les plis et les franges de la nappe d'autel Le  trône
 
L'autel et la Coupe du Salut

Au sens figuré, tropologique, les arches désignent toute l'institution de l'Église. (3) Ces arches soutiennent les quatre pionniers emblématiques qui représentent les quatre premiers temps de l'Eglise (pour mémoire : les apôtres avec Marie de Magdala, les martyrs avec sainte Foy, les anachorètes avec saint Antoine, et les Pères de L'Église avec saint Jérôme).

 

Les 4 sens des 3 arches

En outre, selon les techniques de l'exégèse médiévale, on doit interpréter aussi le sens allégorique de ces 3 arches. Ces arches reprennent la structure des arcades des Limbes du registre inférieur, selon le jeu des correspondances. Le sens allégorique marque encore une fois la continuité entre Ancien et Nouveau Testaments, l'église chrétienne de la "Nouvelle Alliance", "bâtie en 3 jours" par la résurrection du Christ correspond au Temple hébraïque de l'Ancienne Alliance. (4)


Mais surtout, l'image va bien au-delà : elle est chargée d'un fort contenu anagogique, c'est à dire mystique. Ce quatrième sens nous est suggéré par quatre indices sémantiques apportés par le trône vide placé sous ces arches, par les deux marches, par l'encadrement des deux arches centrales par deux demi-arcs, et enfin par la forme même de l'écoinçon.

Les correspondances Les 3 arches de l'Eglise Nouvelle Les 6 arches de La Jérusalem Céleste
Les 3 arches de l'Église Nouvelle correspondent aux 6 arches de l'Ancien Testament


UN PETIT DÉTAIL RÉVÉLATEUR : TROIS ARCHES OU PLUTÔT DEUX ARCHES + DEUX DEMI-ARCHES
La mutation de l’institution héritée du judaïsme s’accompagne d’une ouverture à l’universel.
Les trois arches du Temple bâti par le roi Salomon sur l’autel d’Abraham, reconnaissables aux trois lampes à huile, sont reproduites allégoriquement au niveau supérieur, mais avec une différence notoire : seules les deux arches centrales sont complètes, encadrées par deux demi-arches de part et d'autre. Quel en est le sens ? Probablement, cela indique qu'il a continuité entre le passé et l'avenir. L'Eglise est solidaire des deux dimensions : ancrée dans ses racines, elle s'élance vers le futur.
La série d’arcades de la nouvelle Eglise est reliée d’un côté au passé et de l’autre, infinie, ouverte sur l’avenir ; elle représente la transition avec l’Ancien Testament du Peuple Elu et assure le passage vers le futur jusqu’à la fin des temps, et vers la terre entière en tant qu’Eglise catholique, c'est-à-dire universelle.
En outre, l’arche coupée en deux suggère la destruction symbolique de l’ancienne religion, comme si on avait retiré la clef de voûte qui fermait sur elle-même la vieille arche d'alliance du Temple. N’y a-t-il pas là une référence aux paroles de Jésus s'adressant aux représentants du Temple dont il vient de chasser les marchands : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours. Les Juifs lui dirent alors : "Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèveras ?" Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. » (Jn 2 : 19-21). Ces trois arches peuvent évoquer les trois jours qui s'écoulent de la mort de Jésus à sa résurrection, mais elles symbolisent aussi le corps du Christ, et l'Eglise qui est précisément considérée comme son corps. L’arche rompue ne signifie-t-elle pas l'ouverture, par retrait de la clef de voûte, devenue pierre angulaire, sur laquelle saint Pierre bâtira son Eglise ? (5)
L'autel, le calice, les fers,  le trône les fers des prisonniers délivrés par sainte  Foy accrochés en ex-voto Les fers des prisonniers délivrés par sainte  Foy accrochés en ex-voto
L'autel, le calice, les fers et le trône vide

Les 3 arches

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LA PIERRE ANGULAIRE
Par sa forme, l'écoinçon évoque aussi la pierre angulaire (du Salut évidemment), c'est à dire, celle qui a été choisie,  élue pour édifier métaphoriquement un édifice spirituel ; c'est aussi aussi la pierre d'achoppement qui fera chuter les incrédules comme le décrit saint Pierre. (1Pi 2 : 4-9). C'est enfin la pierre qui avait été rejetée par les bâtisseurs (on pense aux païens qui, comme Dacien, ont martyrisé sainte Foy) et qui est devenue la clé de voûte s'un nouvel édifice comme le chante le Psaume. (6)

Par sa position placée entre les registres de l'Ancien et du Nouveau Testament, il assure la continuité des temps vétéro- et néotestamentaires. Sa juxtaposition avec l'écoinçon de la résurrection des Elus, souligne le lien de cause à effet entre la foi et la Vie éternelle.

Tous ces symboles (l'Eucharistie, la Résurrection, l'autel, l'Eglise universelle, la pierre d'angle) constituent la base même de la nouvelle Eglise, bâtie en trois jours par le Christ.
Et pour bien mettre les points sur les "i", ils sont très visiblement reliés au Temple de Jérusalem par des signes mnémotechniques (des séries de trois points) gravés sur le toit des arches de l’Ancien Testament, au-dessus des prêtres-roi Zacharie et Melchisédech tenant, eux aussi, un calice.
Cet artifice classique de l'Ars Memoriae pointe la direction à suivre, indique la continuité sémantique du double thème Sacerdoce / Sacrifice entre les temps des Ancien et Nouveau Testaments. (Sacrifice d’Isaac en la personne d’Abraham, sacrifice selon le rite de Melchisédech ; sacrifice du Christ commémoré par la Communion, sacrifice du martyr symbolisé par sainte Foy ; sacerdoce des prêtres Aaron, Ezéchiel, Zacharie, auquel répond le sacerdoce céleste de sainte Foy et le sacerdoce du clergé séculier…)
Ainsi guidé du bas vers le haut, l'observateur percoit la corrélation entre les temps des Anciens et Nouveaux Testaments et le continuum du rituel du Temple à celui de l’Eglise.

La reconstruction symbolique du Temple passe par la foi dans le Messie. C’est toute la signification de l’écoinçon de sainte Foy, géniale allégorie qui condense en un espace minimum une formidable densité de sens.

Pour résumer, l'écoinçon de sainte Foy fournit un remarquable exemple de la superposition des quatre sens d'interprétation :

L'écoinçon de sainte Foy : un concentré des quatre sens de l'écriture

- Au sens littéral, il représente la fillette martyrisée pour sa foi ; les trois arches et l'autel matérialisent l'abbaye de Conques elle-même ; le calice représente l'eucharistie, etc. Au sens littéral, il représente, nous l'avons vu, la fillette martyrisée pour sa foi ; les fers suspendus sont ceux des prisonniers libérés et offerts en ex-voto, etc.

- Le sens tropologique (figuré) coule de source : le personnage et le nom même de la jeune martyre, Foy, symbolise la foi. Sa prosternation devant Dieu, son humilité, sa conscience et sa soumission à la puissance divine vont dans le même sens moral. La position de l'écoiçon fait sens : il est juxtaposé à l'écoinçon symétrique de la résurrection des morts (voir une illustration). La géométrie souligne le lien de cause à effet : la foi sauve ! Et c’est aussi le sens des fers des prisonniers qui ont été libérés par le pouvoir miraculeux de sainte Foi, et parce qu’ils l’ont implorée, ont cru en elle. Leur foi les a sauvé.

- Pour le sens allégorique, là encore, c'est la position et la forme de l'écoinçon qui donne le sens : intercalé entre les registres de l'Ancien et du Nouveau Testament, il scelle leur continuité et assure le passage du Salut par la Loi au Salut par la Foi. Le coin enfoncé entre les deux étages unit ce qu'il sépare, de même qu'en architecture, le coin renforce l'unité et souligne en même temps la distinction entre les deux niveaux. Le Calice et les arcades font écho à leur présence à l'étage inférieur.

- Enfin le sens anagogique (spirituel) est le plus complexe et le plus riche : par exemple, les trois arches discontinues symbolisent le christianisme, la nouvelle Eglise bâtie en trois jours par le Christ ; le nimbe crucifère traversé par la main de Dieu jaillie des ondes divines est une image condensée de la Trinité ; enfin l'autel avec son calice, les marches sur lesquelles est agenouillée sainte Foy et le trône vide évoquent son ordination céleste, son sacerdoce, mais aussi l'attente messianique du retour du Christ sur terre.

 

 

Toute la Trinité en 50 cm

Tous les signes de la Trinité sont condensés sur quelques centimètres de pierre dans la scène où la main de Dieu effleure le front de la fillette. Sauriez-vous les détecter ?

Le Père est présent par sa main qui bénit  ; le Fils, apparait à travers le nimbe crucifère traversé par la main ; le Saint-Esprit est figuré par des Ondes divines dont la forme comme le nom évoque l'eau baptismale, purificatrice. (7)  
(En lire davantage sur d'autres figurations de la Trinité au tympan)

image de la Trinité La Main du Père Les Ondes divines (le Saint Esprit) Le nimbe crucifère (le Fils)
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La proskynèse (prosternation) de sainte Foy se repliant sur elle-même devant la main de Dieu (et la Sainte Trinité), traduit la concentration de l’être devant le Jugement. C'est une manifestation implicite de la conscience de soi qui émerge au XIIe s.

La proskynèse de sainte Foy

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(1) Cette pratique demeure encore vivante de nos jours où on laisse la chaise vide d'un membre important d'une communauté qui vient à manquer et que l'on veut ainsi honorer. Dans l'Apocalypse, saint Jean décrit les trônes sur lesquels siègent les martyrs et il relie cette image à l'annonce leur prêtrise (Ap. 20 : 4-6). Voir également ce que dit Frédéric Manns, frère franciscain mineur, professeur à la Faculté des sciences bibliques de Jérusalem, à propos de la représentation du trône vide : « L’Église utilisera ce symbole pour évoquer la présence invisible de Dieu et aussi pour commémorer les martyrs. Leur trône vide placé derrière l’autel signifie qu’ils président l’eucharistie célébrée au nom du Christ. » (Fr. Frederick Manns, O.F.M, Studium Biblicum Franciscanum, Jérusalem (en savoir plus sur le trône vide avec interbible.org). C'est également sur un trône que sainte Foy est représentée en Majesté au trésor ecclésiastique de Conques. (remonter)

(2) Sens littéral : c'est le sens premier, le plus souvent avancé par les commentateurs du tympan. Mais si ce sens est le plus facile à décoder, ce n'est évidemment pas le seul ! Les fers suspendus aux arcades sont une référence aux miracles de la sainte réputée pour libérer les prisonniers, comme le raconte le Livre des Miracles. La sémantique est claire : la foi sauve ! Au sens mystique, comme au sens littéral : en effet, une partie des offrandes versées par les pèlerins servait à payer les rançons des captifs. Les chaînes des prisonniers offertes en ex-voto ont servi à forger les grilles du chœur et sont toujours visibles de nos jours. Enfin, n'oublions pas que le rappel de la libération des captifs n'est pas anodin dans la problématique du Salut : en effet, le purgatoire n'est-il pas en somme une histoire de libération ? (remonter)

(3) Le sens tropologique affirme que l'Eglise constitue le fondement moral de la société médiévale. Elle contribue à l'élévation les esprits, d'où la surélévation du sol qu'elle permet à l'étage supérieur. (remonter)

(4) Sens allégorique : l'arche est une image de construction, de stabilité, de liaison, de passage et d'hommage honorifique. Par le jeu des correspondances, les trois arches symbolisent ici non seulement la basilique de Conques, mais aussi l'Eglise en tant qu'institution. C'est la maison de Dieu bâtie par les hommes mais aussi la présence divine sur terre. L'arcade évoque l'Arche d'Alliance de l'Ancien Testament. Reprise à l'étage du Nouveau Testament, elle représente la Nouvelle Alliance. De la même façon, les sept piliers (chiffre parfait) représentent à l'étage de l'Ancien Testament à la fois la Jérusalem terrestre avec son Temple et la Jérusalem céleste avec ses patriarches et prophètes. De même, l'image des fers évidente au sens propre (sainte Foy libère les prisonniers), peut s'entendre aussi au sens figuré (la foi sauve). Sur les quatre sens de l'écriture, voir le chapitre 3. (remonter)

(5) Le retrait d’une pierre crée une ouverture. Cette rupture ouvre un passage vers le ciel lorsqu’il s’agit d’une clé de voûte ou d’un linteau de séparation de niveaux. Image à la fois de la transcendance et de l'immanence divines, ce procédé est utilisé par trois fois dans le tympan. Nous y reviendrons au chapitre consacré à l’esthétique, à l'occasion de la note sur les passages aménagés dans la composition du portail. Notons enfin que ces trois (chiffre divin) arches partielles en suggèrent en fait quatre (chiffre de l'homme) : doit-on y voir une astuce polysémique pour représenter l'alliance entre Dieu et l'homme ?  Voir aussi la note sur la théologie paulinienne à propos des arches incompètes qui frise la théologie négative. (remonter)

(6) « La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l'angle... » (Psaume 118 [117] : 22) (remonter)

(7) Le thème de l'eau purificatrice renvoie aux Ecritures : "Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai". Ez 36 : 25-26. (remonter)

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