LES MOUVEMENTS CIRCULATOIRES
Le tympan de Conques est construit
sur le plan d'une maison (selon les règles de la rhétorique
définies par Hugues de Saint-Victor). Il est donc composé
de pièces (voir
la navigation au survol) bien distinctes, mais qui communiquent
souvent entre eux.
La circulation dans cet espace s'opère dans diverses directions :
- Les signes mnémotechniques gravés sur les bandeaux orientent le sens de lecture et soulignent
les correspondances. Ils sont retracés ci-contre par des flèches
orange qui relient le monde des vivants à celui des morts, le temps
de l'Ancien Testament à celui du Nouveau.
- La procession de l'Eglise en marche constitue une frise chronologique
qui se lit dans le sens de la flèche verte, progressant vers le
Christ.
- Un axe vertical, transcendantal, descend de la Croix glorieuse à
la pesée des âmes en passant par le Rédempteur.
-
La
flèche noire suit le cheminement du défunt par une trappe jusqu'à l'antre de Cerbère.
- Entre les deux portes d'entrée,
les flèches bleues
indiquent les deux circulations horizontales possibles vers les Tartares
via la gueule de Cerbère ou vers le seuil du paradis, à
travers la cloison poreuse qui y conduit.
- Enfin, d'autres cheminements transversaux existent : c'est le cas de la fameuse
"diagonale de la grâce"
qui descend depuis les ondes du Père jusqu'à l'homme restauré,
via les mains du Christ (flèche rouge). |
LES RUPTURES
Chaque compartiment est nettement séparé des autres par des murs ou des cloisons, des planchers, des toits, des linteaux de pierre.
Mais il y a des voies de communication entre tous ces secteurs qui ne sont isolés qu'en apparence.
Rupture
d’un plan, soustraction d’une pierre sur une voûte,
le procédé technique a pour but d’adapter l’image
à l’idée qu’elle suggère. L’artiste
est si conscient du pouvoir archétypique de la rupture, de l'ouverture,
voire de la faille, qu’il l’utilise quatre fois :
- le premier "trou" qui saute au yeux est celui de la trappe par laquelle le défunt descend vers les portes de l'Au-delà après son Jugement particulier :
- un retrait plus abstrait apparait dans l’écoinçon de sainte
Foy, par les deux arches ouvertes, privées de leur clef de voûte, littéralement coupées en deux, reliées d'un côté sur le passé et ouvertes de l'autre sur l'infini, constituant une subtile allégorie au au temple détruit et rebâti en trois jours par la Nouvelle alliance ;
- une troisième fois, avec le linteau rompu au deuxième étage du Tartare (1), pour
frayer la voie aux hérésies et établir une liaison
entre les péchés du pouvoir temporel et ceux du savoir et
de l’esprit (flèche blanche) ;
- enfin et surtout, la brèche majeure entre les deux registres supérieurs
du tympan, qui interrompt, juste au niveau de la mandorle du Christ, le
linteau de délimitation de l'Eternité et du temps présent
ouvrant une immense faille par laquelle jaillit
la Croix glorieuse. Cette visible absence de séparation télescope
le temps et ouvre définitivement le Ciel. (2)
UN TYMPAN PLEIN DE VIDE
L’image de la pierre retirée
est inévitablement associée à l’idée
de l’irruption du Christ dans l’histoire de l’humanité
: elle commence par la pierre roulée à l'entrée du
Sépulcre au jour de la Résurrection, et s’achèvera
par les pierres tombales soulevées par
les anges au jour de la résurrection des morts. C'est par une faille encore que le sang du sacrifice du Golgotha descend jusqu'au crâne d'Adam pour lui apporter le Salut.
Associant l’image à l’idée, l’ouverture
symbolise la libération, l’élévation, la lumière,
le commencement, le mouvement. Le paradoxe dialectique du retrait apporte
un plus, comme le suggère la théologie négative. (3)
Ces ouvertures par lesquelles la verticalité se fraye un passage
sont une évocation visuelle de la transcendance. Mais elles permettent
également une manifestation tangible de l'immanence divine dans
l'ici-bas.
Il est aussi des failles géologiques qui apportent leur pierre
à la construction de la Jérusalem céleste sur cette
terre. C'est du moins ce que ressent le pèlerin qui élève
le regard du fond des sombres profondeurs des gorges
de l'Ouche vers le sommet du défilé où il aperçoit,
inondée de lumière, la basilique du Saint-Sauveur, avec
ses deux clochers lancés vers le ciel, et qui lui offre, à
bras ouverts, le Portail du Salut.
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(1) Ce linteau horizontal du Tartare
matérialise la distinction entre, d'une part du côté
gauche de la faille, les péchés du Pouvoir et ceux du Savoir
et, d'autre part du côté droit, entre les degrés inférieurs
et supérieurs des péchés liés à l'Avoir.
(2) On peut y voir aussi une référence à l'Evangile de Jean : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme. » (Jn 1 : 51)
(3) Dans le même ordre d'idée, on pourrait rapprocher l'image des trois arches évidées, privées de leurs clés de voûte, de l'épître de Paul aux Corinthiens : « ce qu'il y a de faible dans le monde, voila ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ; [...] ce qui n'est pas, pour réduire à rien ce qui est. » (1 Cor 1 ; 27-28). Comme dans le Magnificat, Il renverse les superbes. Comment ne pas songer au frêle enfant, la petite Foy, qui défie le puissant Dacien ? |