La conscience de soi au tympan de Conques
On observe une prise de conscience individuelle au XIIe siècle qui permet de parler d'un véritable humanisme roman.
Cette conscience de soi s'aiguise face aux questions métaphysiques et en particulier celle du Salut. Jean Claude Schmitt l'a bien analysé : « La décision divine n’était
plus renvoyée comme dans l’Apocalypse au Jugement dernier* et à la Résurrection des Morts. L’accent était
mis désormais sur le Jugement
Particulier* de chaque homme après le trépas.
Dès la mort, seraient évalués l’actif et le
passif de chaque existence individuelle. A cet instant peu d’élus
pourraient se compter, mais peu de damnés aussi. A la grande majorité
des âmes communes s’ouvre le Purgatoire*,
dont les tourments sont proportionnels en intensité en nature et
surtout en durée aux péchés commis par l’individu.
S’il est une découverte de l’individu au XIIe siècle, l’attitude devant la mort, et
surtout devant le Jugement Particulier, en fut le creuset
très important. Cependant, l’individu n’était
pas tout seul, devant la mort de soi. Il pouvait espérer que ses
tourments dans l’Au-delà seraient écourtés
par les suffrages*,
prières, messes, aumônes dispensés par les vivants,
en sa faveur ». (J. C. Schmitt, Conscience
de Soi au XIIe siècle, Essais d’anthropologie
médiévale, Gallimard, NRF)
Le réalisme du tympan conquois, en introduisant la personne, ouvre l’art au domaine de la vie intérieure. Trois exemples s'imposent :
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Ce
n'est pas ici la facétieuse "jonglaresse"
de l'an Mil qui joue aux miracles, mais le témoin de l'engagement
personnel de l'acte de foi. Du point de vue esthétique, l'écoinçon de
sainte Foy est exemplaire de l'adéquation de la forme et
de l'idée, condensant dans un triangle avec la plus grande
économie de moyens, l'image de la Trinité (Père,
Fils et Esprit), de l'identité spirituelle de la personne faite à l'image de Dieu, et de la vocation sacerdotale
du "peuple de prêtres", sous le signe de
la foi au Christ Sauveur. |
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Dans
ce coin réduit du tympan, l'infiniment grand jouxte l'infiniment petit.
Cet écoinçon est d’une grande richesse sémantique et
symbolique, concentrée avec concision dans une épure géométrique. Il
est aussi une illustration parfaite de la vision spirituelle que Simone
Weil nous donne de la rencontre de l’humain et du divin dans La Pesanteur et la Grâce : Cette main qui jaillit de la pointe du triangle nous évoque une représentation romantique du dieu de l’Ancien Testament, l’Antiquus dierum par William Blake, qui illustre l’édition des « Métamorphoses de l’âme et ses représentations » de Carl Gustav Jung, publiée par le Livre de Poche (Coll. Références, p. 101). Blake représente le Grand Architecte « l’Ancien des Jours » accroupi dans les nuées, le bras tendu vers la terre, sa paume ouverte tenant un immense compas qui définit dans la lumière les lois de la Création. C’est « l’imago paternelle » jungienne. « Intentionnellement, je donne à l’« imago » le pas à l’expression « complexe ». (…) Ceux qui me critiquent ont vu là un retour à la psychologie du Moyen-Age et s’y sont par suite opposés. Ce retour fut de ma part conscient et intentionnel car la psychologie des superstitions anciennes confirme ma conception ». C. G. Jung, Métamorphoses de l’âme et ses représentations, Livre de Poche, 1996. William Blake, "The Ancient of Days" (Le Grand Architecte), British Museum
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(1) A propos de la main de Dieu, voir le commentaire où nous résumons l'analyse de la gestuelle faite par l'historien Jean Claude Schmitt, Directeur d'Etudes à l'EHESS (in, Les raisons des gestes dans l'occident médiéval, Gallimard, 1990) à la page consacrée aux gestes. Le même espace irréfragable sépare le doigt d'Adam et celui de Dieu sous le pinceau de Michel-Ange au plafond de la Sixtine. (voir le § sur la dialectique spatiale au chapitre histoire de l'art) (remonter)
(2) Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, chap. 38. A rapprocher de la première épître de Paul aux Corinthiens : « Ce qu'il y a de faible dans le monde, voila ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort. » (1 Co 1 : 27) et à l'action de grâce rapportée dans l'évangile selon saint Luc : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela à des sages et à des intelligents et de l'avoir révélé à des tout-petits. » (Lc 10 : 21) (remonter)
(3) 1Co 10 : 23. Cette formule récurrente de la première épître de Paul aux Corinthiens pourrait résumer la notion de libre arbitre dans la pastorale du tympan. (remonter)
(4) Cf. Pierre Séguret, Conques, L'art, l'Histoire, le Sacré, Editions du Tricorne, Genève, 1997, p. 127