La rage de Satan au Tartare

Les yeux écarquillés, les lèvres retroussées, une grimace, un ricanement nerveux,  un sarcasme déforme le visage de Satan et augmente sa laideur.  Il enrage... Mais pour quelles raisons ?


La colère de Satan ne proviendrait-elle pas de l'idée même de Purgatoire* ?
Le dépit exprimé par le rictus crispé de Satan nous fait songer au récit de Jotsuald, hagiographe de saint Odilon, cinquième abbé de Cluny de 994 à sa mort en 1049, cité par Jacques Le Goff. Il s'agit d'un moine rouergat, qui, revenant de Jérusalem, passe par la Sicile où un ermite lui montrant l'Etna (1), le charge de transmettre à Odilon le message suivant :
« Il crache un feu brûlant. Les âmes des pécheurs, pendant un temps déterminé s’y plongent dans des supplices variés. (…) [Mais] la miséricorde de Dieu permet aux âmes de ces condamnés d’être délivrées de leurs peines par les prières des moines et les aumônes. »
Et l’ermite d’exhorter les moines de Cluny à « multiplier les prières, les veilles et les aumônes pour le repos des âmes plongées dans les peines pour qu’il y ait plus de joie au ciel, et que le diable soit vaincu et dépité » (Jotsuald de Saint-Claude, Vie et vertus d'Odilon de Cluny, cité par Jacques Le Goff, in La naissance du Purgatoire, folio histoire, éd. 2002, p. 171)

Ce récit, comme bien d'autres, montre que si le terme de « purgatoire* » n’apparait qu’après 1170, sa notion est en germe dans l'occident chrétien dès le XIe siècle, un siècle avant la construction du portail de Conques.

Ce « moine rouergat » se rendant à Cluny n’aurait-il pas fait une halte à Conques ? On a l'impression que le souvenir de son récit a directement inspiré le sculpteur conquois, qui met en scène, parmi les âmes en peine, un Diable dépité, une Vierge Marie mains jointes exprimant les suffrages des élus pour que le séjour des éprouvés ne soit que temporaire et la délivrance prochaine, une joie par trois fois gravée sur les bandeaux des Demeures paradisiaques (GAUDIA, GAUDENTES et LAETUS) et par-dessus tout la miséricorde divine.

 

le principe même de purgatoire ne fait pas l'affaire de Satan
Satan réalise qu'il n'aura pas la victoire finale, qu'il a été dupé, car au XIIe siècle, on croit encore qu'on peut tromper le Diable

LE DIABLE HARA-KIRI
Plus tard, dans le dernier tiers du XIIIe s., entre 1267 et 1298, Jacques de Voragine, dans sa Légende Dorée reprend l'hagiographie d'Odilon. Voici le résumé de Jacques Le Goff : « saint Odilon revenant de Terre sainte, entendit de son bateau au large de la Sicile les hurlements des démons s'élevant du cratère de l'Etna, et se plaignant que les prières et les aumônes leur arrachaient des mains les âmes des défunts ». (2) Pauvres démons, ils vivent un enfer ! Cet Etna purgatoire où les diables crient ressemble assez au Tartare de Conques !
Ce rictus de dépit pourrait être rapproché du chapiteau de Vézelay qui représente le désespoir. On y voit un démon, défait, se transpercer le corps d’un glaive, à la manière des Samouraïs japonais.

 

 

 

 

 

 

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Le chapiteau du désespoir á Véselay : le diable hara-kiri
Le chapiteau du désespoir (Vézelay)


(1) A l'époque médiévale où l'on cherche à établir une géographie de l'au-delà, l'Etna était souvent considéré comme une localisation terrestre du Purgatoire. (Cf. Jacques Le Goff, la naissance du Purgatoire, p. 20) (Remonter)

(2) Jacques Le Goff, A la recherche du temps sacré, Perrin, coll. tempus, 2014, p. 218

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