Un quarteron d'antipapes ?


Le quarteron des antipapes

Qui sont les quatre clercs sculptés en bas-relief placés immédiatement au-dessus de l'empereur germanique Henri V, assez proches du Sauveur mais du côté des Tartares ? Nous avançons l'hypothèse que ces quatre ecclésiastiques représenteraient les antipapes qui abondent à l'époque :

- Clément III (Guibert de Ravenne, 1084 - 1100) allié de l’empereur Henri IV et adversaire de la réforme grégorienne, il a assiégé le pape Grégoire VII dans le château Saint-Ange ;

- Grégoire VIII (Maurice Bourdin d’Uzerche, 1118 - 1121), élu grâce au soutien de son allié provisoire Henri V ;

- Anaclet II (Pietro Pierleoni, 1130 - 1138), issu d'une famille d'origine israélite convertie, et légitimement élu, avant que, sous la pression de saint Bernard qui dénonçait ses origines juives, un nouveau pape, Innocent II soit désigné (1)

- Sylvestre IV (Maginulfe, 1105 - 1111), mi-devin, mi-prophète, partisan de l'empereur, il doit fuir Rome peu après son élection et finira par se soumettre à Pascal II en 1111...

Le tympan aborde l'épineuse question des rapports entre les pouvoirs spirituel et temporel. Problématique cruciale à l'époque de la Querelle des Investitures (1075 - 1122), mais qui perdure bien au-delà et demeure permanente dans toute société théocratique. Ainsi, par le jeu des extrapolations, procédé conforme à l'optique polysémique médiévale, le tympan pourrait se préter à des interprétations a posteriori, englobant tous les autres antipapes à venir, par exemple, les quatre antipapes du schisme provoqué entre 1159 et 1180 sous le règne de l'empereur Frédéric Barberousse :

- Victor IV (Ottaviano Monticelli, 1159 - 1164), candidat malheureux de l'empereur au conclave chargé de désigner le successeur d'Adrien IV, battu par Alexandre III, partisan de ses adversaires. Victor lève alors une armée et le chasse de Rome Alexandre qui se réfugie en France, et occupe le Saint-Siège jusqu'à sa mort ;

- Pascal III (Guido de Créma, 1164 - 1168), élu successeur de Victor IV par le parti de l'empereur, il canonise Charlemagne à la demande de Frédéric Barberousse en 1165 et meurt en 1168 ;

- Calixte III (Giovanni de Struma, 1168 - 1178), élu successeur de Pascal III, il abdiquera après le traité de Venise (1177) qui le prive du soutien de Frédéric qui se soumet à Alexandre III ;

- Innocent III (Lando Sitino, 1179 - 1180), élu par les adversaires d'Alexandre III pour succéder à Calixte III, il sera déposé par les partisans d'Alexandre III, mettant fin à un schisme qui aura duré plus de 20 ans. (2)

Pour parer à toute objection, l'auteur se défendra par une pirouette : se non è vero è bene trovato ! En tout cas la clairvoyance des concepteurs du tympan autorise une lecture et une actualisation qui ne se périme pas. La prouesse mérite d'être saluée.

(1) Il n'est pas impossible que l'abbaye de Conques ait été plutôt du côté d'Anaclet II, tout comme le duc d'Aquitaine Guillaume X dont elle dépend, et qu'elle considérât a contrario le pape officiel Innocent II, son rival, comme le véritable antipape, qui était soutenu par saint Bernard et le roi de France ! (Voir la chronique de l'abbaye)

(2) D'autres antipapes partisans de l'empereur peinèrent à imposer leur pouvoir et furent trop éphémères, renversés par le pape légitime Pascal II ou trop faibles pour marquer les esprits des contemporains : Thierry (1100 - 1102), élu comme successeur de l'antipape Clément III ; Albert (1102) qui lui succède pendant un mois ; mais également un premier Victor IV (Gregorio Conti, 1138 - 1139) qui, avec le soutien de Roger II, roi de Sicile, a règné 14 mois, 20 ans avant Octavien Monticelli...

Page précédente